Le Mali, premier producteur de coton en Afrique, se trouve aujourd’hui à un carrefour crucial. Alors que la filière joue un rôle central dans l’économie nationale, elle fait face à des défis structurels majeurs.
Plus qu’une simple culture agricole au Mali, le coton constitue une industrie stratégique. Il génère des revenus directs ou indirects pour 4 à 5 millions de personnes, soit environ 20 % de la population – et contribue à 15 % du produit intérieur brut (PIB) national. En tant que deuxième source de recettes d’exportation après l’or, cette filière alimente non seulement les communautés rurales mais aussi toute une chaîne de valeur incluant la production, la commercialisation et les services connexes.
Fragilités persistantes
Malgré son importance, la filière reste confrontée à des fragilités persistantes, qui nécessitent une transformation audacieuse et intégrée.
La campagne agricole 2023-2024 a vu le Mali atteindre un record historique avec une production de 690 000 tonnes de coton-graine. Pourtant, derrière ces performances économiques remarquables, se cachent des fragilités structurelles qui menacent la résilience de la filière.
La forte volatilité des prix mondiaux représente l’un des défis majeurs pour les producteurs. Les cours du coton sont tiraillés par une série de vents contraires. En 2023, les prix ont été en moyenne inférieurs de 27% au niveau record atteint en 2022. Toute chose qui a influencé sur les choix de culture dans les principaux pays producteurs, dont l’Inde et les Etats-Unis. Pour Seydou Diarra, un producteur de la région de Sikasso, cette instabilité est une réalité quotidienne : « Quand les prix baissent, nous n’avons pas le choix. Nous vendons même si cela signifie des pertes ».
Fatima Traoré, économiste spécialisée dans les filières agricoles, souligne que cette dépendance aux marchés internationaux expose la filière à des risque considérables. « Sans mécanismes efficaces de stabilisation des revenus ou de transformation locale, il est difficile d’assurer un développement durable », explique-t-elle. À ce jour, seulement 1% de la production nationale est transformée localement, laissant le pays vulnérable aux fluctuations des marchés internationaux.
Un impératif économique et social
La transformation locale du coton apparait comme une solution clé pour renforcer la résilience de la filière et maximiser sa valeur ajoutée. Selon Modibo Mao Makalou, économiste malien et gestionnaire financier, la « transformation locale du coton nécessite des financements à moyen et long terme ». Dans ce contexte, la « banque d’investissement de l’Alliance des États du Sahel (AES) pourrait jouer un rôle clé, surtout en mutualisant les efforts avec le Burkina Faso, autre grand producteur de coton ». Il souligne qu’une « politique industrielle commune, axée sur l’agro-industrie et les mines, permettrait de créer des synergies » régionales et d’accélérer la transition vers une économie plus diversifiée.
Sinaly Koné, agent de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) à Bougouni, insiste sur l’importance de cette transformation : « Transformer le coton sur place permettrait non seulement d’ajouter de la valeur à notre production mais aussi de créer des emplois supplémentaires et de renforcer notre résilience face aux fluctuations des prix mondiaux ».
Toutefois, plusieurs obstacles entravent cette transition, notamment le manque d’infrastructures adéquates, un accès limité au financement pour les entreprises locales et la concurrence avec des produits importés bon marché, souvent en provenance d’Asie.
Aliou Diarra, ouvrier à la CMDT de Dioïla, souligne également que les couts élevés des équipements de transformation et les difficultés logistiques freinent les initiatives locales. « Il faut des politiques publiques fortes pour soutenir les entreprises locales et leur permettre de rivaliser avec les produits étrangers », ajoute-t-il.
Adapter la filière aux défis climatiques
Les effets du changement climatique imposent une adaptation rapide des pratiques agricoles. Entre 2019 et 2023, une diminution de 15 % des précipitations a été enregistrée dans certaines régions cotonnières, selon l’Agence nationale de météorologie du Mali (ANAM). Face à ces contraintes, les agriculteurs adoptent désormais des semences résistantes aux conditions extrêmes ainsi que des techniques innovantes de gestion des ressources en eau, telles que l’irrigation goutte-à-goutte et la collecte des eaux de pluie.
Awa Touré, cheffe d’une coopérative agricole de Sikasso, témoigne : « Apprendre à utiliser l’eau de manière plus efficace nous aide à maintenir nos rendements, même lorsque les pluies sont irrégulières ». Cependant, ces solutions nécessitent des investissements conséquents et une formation continue des producteurs.
L’avenir de la filière cotonnière malienne repose sur trois piliers essentiels : la modernisation des infrastructures agricoles, l’ajout de valeur par la transformation locale et la diversification des marchés. D’ici 2030, les experts estiment qu’un investissement stratégique dans deux ou trois complexes industriels de filature et de tissage pourrait permettre de transformer 30 % de la production nationale localement, générant près de 100 000 emplois directs.
