Selon le rapport 2023 de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI), le nombre de déclarations de patrimoine a chuté de manière spectaculaire : 629 en 2018 contre seulement 60 en 2023, soit une baisse de plus de 90 %.
La loi n°2014-015 du 27 mai 2014, complétée par le décret de 2015 fixant ses modalités d’application, oblige les hauts responsables maliens – ministres, diplomates, hauts fonctionnaires et dirigeants d’entreprises publiques – à déclarer leurs biens à l’entrée et à la sortie de leurs fonctions. Ces déclarations, déposées à la Cour suprême, doivent inclure titres fonciers, cartes grises, relevés bancaires et décrets de nomination.
Le nouveau code pénal, adopté en 2024, prévoit en son article 243-85 des sanctions sévères : cinq ans d’emprisonnement et deux millions de francs CFA d’amende pour tout agent public qui refuse de déclarer son patrimoine après mise en demeure.
Pourtant, entre 2016 et 2023, seules 1 873 déclarations ont été enregistrées sur près de 8 874 attendues. Le taux moyen de conformité plafonne ainsi à 13,8 %.
Un effondrement depuis 2018
L’OCLEI note une tendance claire : après un pic en 2018, les dépôts se sont effondrés. Le ministère de l’Administration territoriale, par exemple, est passé de 257 déclarations en 2018 à zéro en 2023. Même chute au ministère de l’Agriculture (54 en 2017 contre 2 en 2023) et à celui de l’Énergie et de l’Eau (38 en 2017 contre 2 en 2023).
Chez les ministres, la situation est contrastée. En moyenne, 61 % se sont conformés à l’obligation entre 2016 et 2023, avec un pic de 96 % en 2020. Mais la tendance générale est à la baisse. Les diplomates ne font guère mieux : sur 57 chefs de missions diplomatiques et consulaires attendus chaque année, à peine 7 % ont déclaré leurs biens. Certains, comme les ambassadeurs du Mali à Genève ou Alger, ont joué le jeu, mais la majorité n’a jamais rien déposé.
Un défi pour la transition
L’OCLEI avance plusieurs explications : méconnaissance des textes, restrictions de communication imposées à l’OCLEI suivant un protocole signé entre le gouvernement et l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), contexte politique instable et surtout manque de volonté des autorités pour exiger l’application de la loi. À cela, s’ajoutent les réticences des responsables eux-mêmes, peu enclins à exposer publiquement leur patrimoine.
Pour Ahmed Sékou Diallo, président de la Coalition de lutte contre la corruption (CLCC), ce désengagement « est avant tout lié à un manque de volonté politique ». Selon lui, « les autorités doivent montrer l’exemple : le président de la transition, le Premier ministre, tous les membres du gouvernement doivent faire leur déclaration de biens » pour que les autres suivent. « Même dans un régime d’exception, nous disons qu’il faut faire cette déclaration », ajoute-t-il.
Diallo estime que la Cour suprême devrait « interpeller tous ceux qui violent la loi en ne déclarant pas leur patrimoine ».
Alors que le Mali traverse une période de transition politique et institutionnelle, la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite apparaît plus que jamais comme un enjeu central. Mais sans volonté politique forte et mécanismes de contrôle efficaces, le dispositif de déclaration de patrimoine risque de demeurer un simple outil symbolique, ignoré par ceux qui devraient donner l’exemple.
