Éditorial : Macron est en décalage profond avec les opinions africaines
article comment count is: 0

Éditorial : Macron est en décalage profond avec les opinions africaines

Cet éditorial a été initialement publié sur Afrique XXI.

Depuis quelques années, la France fait figure de bouc émissaire des « crises » qui agitent certains États sahélo-sahariens dont les dirigeants – avec une acuité particulière depuis la cascade de renversements de régimes – l’accusent de tous les maux.

Le président français, Emmanuel Macron, semble résolu, désormais, à ne rien céder sur le terrain de la « bouc-émissarisation ». Ce lundi 6 janvier, évoquant l’intervention militaire française au Sahel lors de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le locataire de l’Élysée s’en est pris à « l’ingratitude » des dirigeants des pays où les troupes françaises ont fini par être chassées. « Je crois qu’on a oublié de nous dire merci ; c’est pas grave ; ça viendra avec le temps […]. Aucun ne serait aujourd’hui avec un pays souverain si l’armée française ne s’était pas déployée dans cette région », a asséné Emmanuel Macron, brut de décoffrage, dans un discours aux allures de sermon (« on avait raison » [d’intervenir], les autres ont tort d’avoir demandé notre départ).

Comme dirait un personnage de Truman Capote, « tout le monde est cinglé à la fin » de cette histoire d’amour que le président français appelait de ses vœux et dont l’issue lui est restée sur le cœur. Sa réaction explosive, hors de toute proportion, loin de la retenue diplomatique que lui impose pourtant sa fonction, est, certes, à mettre sous le coup de l’émotion. Mais elle traduit aussi la fâcheuse coutume des dirigeants français de céder au mépris et au désir de blesser lorsqu’ils s’expriment sur l’Afrique ou sur une région du continent, avec un topo hérissé de paternalisme, en décalage profond avec une opinion publique africaine francophone de moins en moins complexée. Cette condescendance amplifie le rejet de la présence militaire française et nourrit le « panafricanisme de bon aloi » porté par ceux qu’Emmanuel Macron qualifie de « faux intellectuels » au service de la Russie.

Au Mali, des responsables politiques conservent très présent à l’esprit le « nous serons intraitables là-dessus [sur les élections à la fin du mois de juillet 2013] », pas si lointain, de François Hollande. Les souvenirs du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy ne se sont pas éteints comme les braises du feu au petit matin. Pas plus que la venue d’Emmanuel Macron à Gao, sur la piste de la base de l’opération Barkhane, en 2017, juste après son élection, sans même passer par Bamako – obligeant son homologue Ibrahim Boubacar Keïta à le rejoindre. Pourtant, le président français n’a cessé de prétendre qu’il serait l’homme de la rupture dans les relations avec le continent africain, allant jusqu’à annoncer la fin de la « Françafrique ». Las ! Cette promesse s’est peu traduite dans les faits, et la tension avec le Sahel a déstabilisé encore davantage le prestige de la France.

Mais, plus que tout, son discours révèle sa difficulté à prendre du recul sur les interventions de la France, inscrites dans une priorité militaire que certaines voix au Mali et ailleurs jugent inefficaces. En 2017, les appels à explorer la voie du dialogue avec les djihadistes maliens, à l’issue de la Conférence d’entente nationale, avaient buté sur une fin de non-recevoir de la part de certains partenaires, la France en tête. Cette séquence est mobilisée aujourd’hui dans la rhétorique de certains responsables militaires et politiques du pays comme la preuve de la tutelle extérieure qui s’exerçait sur des dirigeants privés de leur autonomie de décision. La séparation était, dès lors, la seule issue à envisager dans une région où la France a échoué à expliciter les raisons profondes de sa présence. Ce manque de clarté sur son positionnement a nourri l’accusation de « néocolonialisme permanent » et des thèses complotistes au sein de populations pour qui les mobiles de la présence française étaient insaisissables en l’absence d’amélioration du climat sécuritaire. Il s’agit moins d’un complot français que d’un enjeu régional.

Certains dirigeants sahéliens élus et soutenues par la France ont préféré se contenter d’exercer un médiocre leadership intellectuel, de répondre à des questions politiques par des artifices et de toujours ramener les problèmes à des enjeux d’argent, poursuivant ainsi une politique de dépendance. Résultat : les armées renforcées ont fini par renverser les dirigeants démocratiquement élus. La suite est connue : changement d’alliance en faveur de la Russie, ambition affichée de « restauration » de la souveraineté nationale par des dirigeants militaires, disparition de l’armée française, comme sort de scène le personnage d’une pièce de théâtre dont le rôle est terminé.

Désormais seuls aux commandes avec leurs nouveaux partenaires, les régimes militaires au pouvoir marchent pourtant dans les pas du dispositif militaire français en priorisant l’outil militaire face à l’enhardissement des djihadistes, sans perspective, pour le moment, de négociation de paix. Même s’il apparaît, de plus en plus, qu’il n’y aura pas de victoire claire dans cette guerre contre l’escalade djihadiste.

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion