Depuis des décennies, la corruption gangrène l’administration malienne. Face à ce fléau, les autorités misent sur la digitalisation. Reste à voir si cette transition numérique peut changer vraiment la donne ?
En 2024, le Mali a reculé à la 135ᵉ place sur 180, selon l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, avec un score de 27/100. Pots-de-vin, actes falsifiés, agents fictifs, marchés publics opaques : autant de pratiques qui minent l’État et nourrissent la défiance citoyenne. La digitalisation apparaît comme un levier de transparence et de traçabilité à la corruption.
Une digitalisation déjà en marche
Dans le cadre du projet Mali numérique, plusieurs initiatives ont été lancées pour moderniser l’administration et réduire les pratiques corruptives. Ces réformes visent à automatiser les procédures, à renforcer la traçabilité et à limiter les contacts directs entre citoyens et agents publics – un terrain souvent propice aux transactions informelles.
La numérisation de l’état civil, malgré ses limites et quelques erreurs, marque une avancée majeure en réduisant les falsifications et les pertes de documents souvent sources de corruption.
Le Système intégré de gestion des ressources humaines (SIGRH) constitue un autre levier important. Il a permis d’identifier les doublons et agents fictifs dans la fonction publique. Plusieurs centaines de cas auraient été détectés, contribuant à alléger la masse salariale de l’État.
Côté services aux usagers, le paiement par mobile money est progressivement mis en place dans certaines mairies du district de Bamako. Il permet de régler les frais d’actes administratifs ou les contraventions sans passer par les guichets physiques. Ce système, en plus d’être pratique, supprime les possibilités de majorations informelles et améliore la traçabilité des recettes publiques.
L’Agence des technologies de l’information et de la communication (Agetic) a développé plusieurs outils numériques pour renforcer la transparence administrative. Parmi eux, Egesco facilite la gestion traçable du courrier administratif, Office Manager centralise les données RH, financières et matérielles, CORE sécurise les consultations pour les marchés publics, et AGIC permet l’archivage électronique des documents, limitant pertes et manipulations. Autant de logiciels qui visent à moderniser l’administration et à réduire les opportunités de corruption.
Résistance au changement
Dans l’émission Mali Kura Taasira, Alhamdou Ag Ilyène, ministre de la Communication, de l’Économie numérique et de la Modernisation de l’administration, a reconnu que la digitalisation de l’administration est en marche, mais encore fragile. Il a souligné que l’Agetic met déjà à disposition des plateformes capables de répondre aux besoins du pays. Toutefois, selon lui, le principal obstacle n’est pas technologique, mais humain : la résistance au changement, nourrie par un certain conservatisme administratif, freine l’adoption des outils numériques.
Or, tant que les comportements ne changent pas, les pratiques de corruption risquent de perdurer malgré les innovations techniques. « Certains agents bloquent volontairement les outils numériques parce qu’ils y voient une menace directe à leurs petits avantages », confie un ingénieur de l’Agetic. La digitalisation limite leur pouvoir sur les usagers, surtout quand les paiements deviennent traçables et les démarches automatisées.
Autre défi majeur : l’absence de coordination. Plusieurs départements développent leurs plateformes sans l’Agetic, fragilisant la cohérence numérique et créant des zones floues propices aux dérives. On peut également citer la dépendance aux financements extérieurs, le faible taux d’alphabétisation numérique, le manque de suivi après le déploiement des plateformes, la persistance de la fracture numérique. Autant de freins qui limitent l’impact réel des réformes. Car au-delà de la technologie, la réussite de cette transition repose sur une transformation en profondeur des pratiques, des mentalités et des priorités institutionnelles
Des exemples, comme le Rwanda ou le Sénégal, montrent que le numérique peut transformer la gouvernance. Mais au Mali, son impact dépendra surtout d’une volonté politique claire, d’une bonne coordination et d’un réel engagement citoyen.
