Médias au Mali : à la recherche d’un modèle économique viable
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Médias au Mali : à la recherche d’un modèle économique viable

Précarité des journalistes, absence de financement public structuré, dépendance à la commande institutionnelle… La presse malienne traverse une crise profonde. Entre multiplication des organes fragiles et manque d’investissements, le secteur peine à se professionnaliser. Le numérique, encore balbutiant, apparaît comme une piste, mais nécessite des moyens conséquents.

Selon le dernier rapport de l’Union des journalistes reporters du Mali (UJRM), près de deux tiers des journalistes maliens n’ont aucun contrat de travail formel et plus de 70 % ne bénéficient pas de couverture sociale. Les salaires sont souvent inférieurs au SMIG et irréguliers. Dans ces conditions, la viabilité économique des médias devient une question cruciale.

« Il n’existe pas de véritable modèle économique pour les entreprises de presse au Mali. Beaucoup d’organes vivent des contrats des services publics », résume Boubacar Kanouté, président de l’UJRM. Pour lui, l’absence de volonté politique et la mauvaise gouvernance interne expliquent, en grande partie, la crise : « Les responsables d’organes manquent souvent de formation en entrepreneuriat. Beaucoup ne gèrent pas leurs rédactions comme de véritables entreprises. »

Sous-financement et vulnérabilité aux pressions

Les contrats de communication institutionnelle constituent la principale ressource des médias privés. Mais ces fonds, réduits et aléatoires, fragilisent tout l’écosystème. « Il est difficile, voire impossible, de critiquer un partenaire financier au risque de perdre son contrat. Beaucoup de ces accords sont assortis de clauses tacites de non-agression », observe Lassina Niangaly, cofondateur du média en ligne Le Jalon.

Cette dépendance nourrit un cercle vicieux : une presse sous-financée et vulnérable aux pressions, où les journalistes sont parfois contraints de recourir à des pratiques contraires à l’éthique pour survivre.

Grands groupes de presse et spécialisation thématique

Avec près de 800 médias recensés, dont plus de 400 radios, l’offre dépasse largement les capacités d’un marché publicitaire exigu. « On gagnerait à un regroupement afin d’avoir de grands groupes pour une meilleure gestion », estime Salif Sanogo, journaliste et observateur avisé du secteur.

Pour Alexis Kalambry, directeur de publication de Mali Tribune, le problème remonte à la genèse du secteur : « Rarement, on a vu de véritables investisseurs s’engager dans la presse. Ce sont surtout des journalistes animés d’idéaux politiques qui ont fondé des organes, sans expertise en gestion ni en mobilisation de ressources. »

Certains médias tentent d’amorcer une transition. Le quotidien national L’Essor ou le journal Le Soft misent sur des abonnements en ligne, signe que le numérique peut offrir de nouvelles sources de revenus. « Les plateformes digitales peuvent être un prolongement rentable de nombreux médias. En développant leur format digital, ils peuvent diversifier leur public à faible coût, générer de nouveaux revenus à travers un abonnement flexible et attirer de nouveaux acteurs publicitaires », recommande Sanogo.

Mais cette mutation suppose des investissements que peu de structures peuvent aujourd’hui consentir. « Les nouvelles technologies peuvent aider à réduire les coûts de production, mais il faut un investissement conséquent pour moderniser les moyens de production et structurer les médias », souligne Kalambry.

Pour Sadou Abdoulaye Yattara, journaliste et coordinateur de l’Institut pour la démocratie et l’éducation aux médias (IDEM), les médias classiques doivent se rendre compte qu’ils ne sont plus seuls à produire de l’information pour le public. « Ils doivent adapter leur offre éditoriale en exploitant l’avantage qu’ils ont dans la collecte et le traitement de l’information professionnelle, c’est-à-dire une information vérifiée, éthiquement conforme à la consommation. »

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