L‘experte en fiscalité minière, Salimata Sangaré, dans un entretien à « Benbere », explique pourquoi la reforme minière doit être bien pilotée par l’État en jouant la carte de la transparence et de l’équité.
Le 5 mars 2025, le Conseil des ministres du Mali a adopté une modification du Code général des impôts visant à optimiser les recettes du secteur minier. Ce pilier économique a représenté près de 25 % des revenus de l’État en 2019 et une part encore plus importante en 2022 (plus de 50 % des recettes fiscales) selon la Direction générale de la géologie et des mines du Mali (DNGM). Pour décrypter les enjeux de cette réforme, nous avons interrogé Salimata Sangaré, experte en fiscalité minière. Elle revient pour Benbere sur les impacts économiques, la transparence et les perspectives pour les communautés locales et les investisseurs de cette réforme.
Après cette réforme fiscale et la participation de l’État portée à 35 % dans les projets miniers (Code minier 2023), comment les investisseurs pourraient percevoir le Mali ?
Cette réforme, combinée à la hausse de la participation étatique, envoie un message ambivalent. D’un côté, les compagnies comme Barrick Gold, avec qui le gouvernement est engagé dans un bras de fer, y voient une instabilité accrue, c’est-à-dire plus de taxes et moins de profits privés. Le Mali risque de perdre en attractivité face à des pays comme le Ghana où les conditions sont plus souples. Les investisseurs craignent aussi des litiges ou une nationalisation partielle, surtout après les tensions récentes. À long terme, les nouveaux projets pourraient être freinés si la rentabilité baisse. Mais le Mali peut renverser la vapeur avec des garanties juridiques claires et une fiscalité stable, en misant sur son potentiel minier encore inexploité. Tout dépend de l’application concrète.
Quelles projections faire en termes de gains fiscaux et comment pourraient-ils aider face au déficit budgétaire signalé par le Fonds monétaire international (FMI) en 2024 ?
Le secteur minier est une manne pour l’État, et cette réforme vise à la doper. Avec l’élargissement de l’impôt spécial sur certains produits aux marbres ou lingots d’or, la baisse du taux minimal de 5 % à 3 % pour encourager la production, et le droit de timbre étendu aux exportations, on vise une assiette fiscale plus large. En termes d’estimation, c’est environ 1 025 milliards de francs CFA de recettes, soit 600 milliards de plus qu’avant. Ces fonds pourraient réduire le déficit budgétaire pointé par le FMI en avril 2024, financer des infrastructures ou des projets sociaux. C’est une bouffée d’oxygène pour les finances publiques, à condition de bien gérer ces ressources.
Dans quelle mesure les entreprises minières, locales ou étrangères, seront-elles affectées ?
La pression fiscale va augmenter avec des taxes et redevances plus lourdes, ce qui grignotera leurs marges. Les exonérations, souvent généreuses, risquent de fondre, gonflant leurs coûts. Certains contrats pourraient être renégociés, un casse-tête pour les entreprises établies. Les investissements, surtout étrangers, pourraient ralentir si le climat devient trop incertain. Et avec plus de revenus reversés à l’État et aux communautés, les bénéfices se redistribueront autrement. Les entreprises devront s’adapter, revoir leurs stratégies pour rester dans la course.
Que faire pour que les entreprises minières jouent le jeu, notamment sur les volumes produits et exportés ?
Je recommande des systèmes modernes comme la blockchain pour tracer les minerais, ou des puces RFID sur les cargaisons. Des audits réguliers par des experts indépendants, appuyés par des drones et des satellites, permettraient de vérifier les chiffres déclarés. Une plateforme numérique pour des déclarations en temps réel, connectée aux douanes et aux mines, limiterait les fraudes. Adhérer pleinement à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), avec des rapports publics sur les volumes et paiements, serait un gros plus. Et pour motiver les entreprises, il faut envisager des sanctions sévères pour les tricheurs, mais aussi des réductions d’impôts pour les bons élèves.
Comment faire pour que les communautés locales en profitent, comme le prévoit le Code minier de 2023 ?
C’est un vieux problème. Il faut d’abord mieux gérer les Fonds de développement local : un pourcentage fixe des redevances doit aller directement aux communautés, avec une gestion participative incluant leurs représentants. Une plateforme publique pour suivre les flux en temps réel renforcerait la confiance, en s’appuyant sur l’ITIE. Je propose aussi d’augmenter la part locale des redevances et de lier les licences minières à des engagements sociaux clairs. Les entreprises pourraient financer écoles ou hôpitaux en échange d’avantages fiscaux. Enfin, former les administrations locales et auditer les fonds éviterait les détournements. Les communautés doivent voir les bénéfices concrets.
Comment atteindre une fiscalité minière efficace à la fois pour les investisseurs et les populations ?
Il faut un équilibre. D’abord, optimiser le cadre fiscal : une taxation progressive selon la rentabilité, moins d’exonérations inutiles, et un fonds souverain pour stabiliser les revenus. Ensuite, une transparence totale : ITIE à fond, suivi numérique des paiements, et renforcement des contrôles fiscaux. Pour les communautés, plus de redevances bien gérées, des consultations locales et des emplois maliens obligatoires. Côté investisseurs, offrir une stabilité fiscale et des incitations pour transformer les minerais sur place. Ajoutez un cadre environnemental strict, et le Mali pourrait tirer le meilleur de ses mines tout en restant attractif.