Le Mali face au dilemme de l’orpaillage artisanal
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Le Mali face au dilemme de l’orpaillage artisanal

Dans les régions de Kayes et Sikasso, l’orpaillage artisanal nourrit des millions de familles mais détruit aussi forêts, sols et rivières. Le Mali peine à encadrer cette activité.

Le Mali est le deuxième producteur d’or en Afrique, après le Ghana et onzième sur le plan mondial, avec une production annuelle estimée à 101,7 tonnes en 2022. Dans les régions de Kayes et Sikasso, où les opportunités d’emploi formel sont rares, l’orpaillage est souvent la seule source de revenus pour des milliers de personnes.

Kalilou Traoré, un orpailleur de 37 ans basé à Sadiola, dans la région de Kayes, témoigne : « Ici, il n’y a pas beaucoup d’options. L’agriculture ne suffit plus à nourrir nos familles à cause des sécheresses récurrentes. Avec l’orpaillage, je peux gagner entre 30 000 et 50 000 francs par jour, ce qui est considérable comparé à d’autres métiers ».

Selon Sédiko Douka, Commissaire de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) chargé de l’énergie et des mines, dans un entretien accordé au quotidien nigérien Le Sahel en juillet 2021, « 10 % de la population du Niger, du Mali et du Burkina Faso dépendent de l’orpaillage artisanal, repartis sur plus de 1 000 sites informels ». Cette activité stimule également des secteurs connexes comme le commerce, le transport et l’alimentation. Pourtant, derrière ces chiffres impressionnants se cachent des réalités préoccupantes.

Quand l’éclat de l’or ternit l’avenir des terres

Bien qu’il joue un rôle crucial en répondant aux besoins essentiels de milliers de personnes, l’orpaillage artisanal laisse des traces indélébiles sur l’environnement. Les conséquences humaines, économiques et écologiques sont alarmantes.

En janvier 2024, deux effondrements successifs de mines artisanales ont été signalés à Kangaba, dans la région de Koulikoro, causant la mort de plus d’une centaine de personnes en moins de 24 heures. Ces tragédies mettent en lumière les dangers liés à l’absence de normes de sécurité dans ces exploitations. Selon les spécialistes, les nombreux puits creusés et abandonnés exposent le sol au ravinement et à des processus d’érosion intensive, aboutissant à une destruction totale du sol superficiel.

De plus, chaque année, des milliers d’hectares de forêts disparaissent dans les zones aurifères du Mali. « Nous perdons nos terres arables et nos sources d’eau potable, déplore Mariam Coulibaly, agricultrice à Kadiolo, dans la région de Sikasso. Les arbres disparaissent, et avec eux, notre capacité à cultiver ».

Mais le véritable fléau reste l’utilisation massive de mercure, un métal toxique utilisé pour amalgamer l’or. Une fois rejeté dans les cours d’eau, le mercure provoque des dommages irréversibles sur les écosystèmes aquatiques et la santé humaine. « Le mercure s’accumule dans les poissons et finit par affecter les populations locales qui en consomment, explique Oumar Karambé, environnementaliste. À long terme, cela peut entraîner des maladies neurologiques graves, notamment chez les enfants ».

Un cadre juridique insuffisant

La faiblesse des politiques de régulation constitue un autre défi majeur. Bien que le gouvernement malien ait adopté plusieurs textes législatifs pour encadrer l’exploitation artisanale de l’or, leur mise en œuvre reste problématique. De même, l’absence de cadres juridiques clairs favorise l’évasion fiscale et le trafic d’or, privant l’Etat de recette fiscale énorme par an. « Beaucoup d’orpailleurs travaillent illégalement, ce qui complique les efforts de contrôle », confirme un responsable des tonboloma dans la mine d’or de Dadian, dans la région de Sikasso.

Face à ces défis, certaines coopératives d’orpailleurs ont adopté des approches collaboratives dans l’orpaillage artisanal. Aliou Sissoko, président d’une coopérative à Sikasso, explique : « Nous avons mis en place un système de rotation des sites pour éviter l’épuisement des ressources. Nous essayons aussi de vendre notre or via des canaux officiels pour bénéficier de meilleurs prix et contribuer aux recettes publiques ».

Cependant, ces efforts restent insuffisants sans un engagement politique renforcé. « Il faut que l’État investisse davantage dans la formation des orpailleurs et la modernisation de leurs équipements, souligne M. Karambé. Sans cela, nous risquons de continuer à sacrifier notre environnement pour des gains à court terme ».

Un équilibre fragile à trouver

L’orpaillage artisanal incarne une double réalité au Mali : celle d’une opportunité économique vitale pour des millions de personnes, mais aussi celle d’une menace environnementale grandissante.

Bakary Traoré, orpailleur à Kayes, résume bien ce dilemme : « L’or, c’est notre pain quotidien. Mais si nous continuons comme ça, demain, il n’y aura plus rien à exploiter ni à manger. Il faut trouver un juste milieu ».

Pour y parvenir, il est urgent de renforcer la régulation, de promouvoir des pratiques durables et de sensibiliser les communautés aux impacts environnementaux. Car, comme le rappelle Fatoumata Diallo, diplômée en zoologie à la Faculté des sciences et des techniques, « l’or peut être une bénédiction, mais il ne doit pas devenir une malédiction ».

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