Avec « Wari », sous Moussa Traoré, « le début du théâtre engagé au Mali »
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Avec « Wari », sous Moussa Traoré, « le début du théâtre engagé au Mali »

Le 26 mars 1991 marque la fin du régime de Moussa Traoré au Mali. Dans de nombreux témoignages d’acteurs du monde du théâtre, un homme est porté en triomphe : Ousmane Sow, metteur en scène et membre de la compagnie nationale de théâtre. Sa pièce « Wari », jouée en 1988, est considérée comme ayant sonné le « kick off » de la libéralisation de la parole.

« La pièce Wari est à la révolution de mars 1991 ce que le mariage de Figaro est à la révolution française », confie d’emblée Habib Dembélé, acteur et comédien. Sa riche et longue carrière, à l’en croire, a décollé avec le personnage de « Guimba », qu’il campe dans la pièce. L’impact de Wari (argent en bamanankan) et la renommée qu’elle a apporté à l’artiste l’amènent même à se porter candidat à l’élection présidentielle de 2002.

Dans la pièce, Ousmane Sow dénonce le fait que, pour le gain, l’on est capable d’aller jusqu’à bâillonner son peuple. « Wari a pointé du doigt tout ce que le régime de Moussa Traoré incarnait : corruption, emprisonnements arbitraires, abus des hommes en uniforme, restriction de la liberté d’expression », témoigne Monzon Traoré, directeur régional de la culture de Dioïla, qui a travaillé sur la pièce dans le cadre de son mémoire de fin d’études en art dramatique.

Origine et création

En 1970, éclate une crise au sein de la compagnie du théâtre national. « Il y avait un théâtre d’élite qui s’essoufflait et dont les seuls adeptes n’étaient plus que des comédiens roulant les r devant des chaises vides », écrit Ousmane Sow dans Quarante petites années de théâtre, publié en 2020 aux éditions La Sahélienne.

Quelle approche adopter pour attirer le public ? Ousmane Sow, au bout de plusieurs nuits blanches, décide, à partir de poèmes découverts dans une revue en langue bamanan, d’exploiter le kotèba, ce théâtre traditionnel très populaire en milieu bamanan. « J’exprime toute ma reconnaissance à Tiécoro Sangaré, Moussa Kanouté, Adama Drabo et Moussa Touré, ces poètes dont les textes ont servi de véritable ferment à Wari », se souvient le metteur en scène.

Où et quand fut jouée Wari pour la première fois ? Préoccupation qui nous conduit aux archives nationales du Mali. La Une de L’Essor, le quotidien national, datée du 5 avril 1988, évoque le 3e congrès du parti unique de l’époque, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). : le 31 mars 1988. « C’était dans le jardin de l’Hôtel de l’Amitié, en présence du président, de son épouse et de tout son gouvernement », rappelle Habib Dembélé.

L’effet Wari

Adama Traoré, qui a aussi joué dans la pièce, se souvient qu’elle a été diffusée en direct à la télévision nationale. Sujet phare de l’époque, les gens, de partout, commençaient à montrer leurs indignations, à organiser des grèves. « Tout est parti de cette pièce qui a libéré la parole. Les Maliens étaient soulagés ». Ses propos sont corroborés par Soumana Sacko, ministre des Finances de Moussa Traoré et premier ministre du gouvernement de transition installé après la chute du régime militaire.

Wari a fait couler beaucoup d’encre. Y compris ceux du critique Cheickna Hamalla Diarra : « Un fou qui radote, un alcoolique intellectuel raté qui ironise sur les slogans politiques, un paysan paumé laissé là par l’exode, un jardin d’enfants qui abrite des ébats de prostituées et de leurs clients…un cadavre à la fin : c’est Wari. Avec son atmosphère pesante… »

Moussa Traoré, selon Adama Traoré, n’a pas censuré Wari parce qu’il ne fallait pas trop en faire, surtout qu’il convoitait la présidence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). « Nous étions d’ailleurs des héros, aucune menace ou censure n’aurait freiné le phénomène Wari », rassure Habib Dembélé.

Patrimoine vivant du théâtre malien

Inscrit en 2022 à l’inventaire du patrimoine culturel national du Mali, le kotèba doit beaucoup à Wari, qui a contribué à le propulser auprès du grand public. La pièce a donné naissance à Ferekenyamibugu, une autre création d’Ousmane Sow, jouée une année après l’accession de Moussa Traoré à la tête de l’OUA. Tayinibougou, un autre spectacle à succès au Mali, selon son auteur Alioune Ifra NDiaye, est une suite de Wari.

Au programme dans les deux écoles nationales d’art du Mali (Le conservatoire et l’Institut national des Arts), Wari continue de nourrir les créations, qu’elles soient théâtrales ou cinématographiques, conservant sa place de patrimoine dans l’héritage théâtral malien. « L’impact de la pièce sur les évènements de 1991 m’a prouvé que le kotèba est un héritage culturel puissant. C’est pourquoi j’ai jugé nécessaire de le promouvoir à travers mon festival », confie Mahamane Diarra, professeur de théâtre et promoteur du festival Les Rencontres culturelles kotèba de Massantola.

« Wari, dans la culture malienne, est un héritage précieux. C’est le début du théâtre engagé au Mali », conclut Habib Dembélé.

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