La procréation médicalement assistée (PMA) incarne l’espoir pour des milliers de couples maliens confrontés à l’infertilité. Malgré les avancées médicales significatives dans ce domaine, son acceptation sociale reste encore marquée par des tabous, des incompréhensions et des résistances.
« En cinq ans de mariage, mon mari et moi avons en vain tout tenté pour avoir un bébé. » La quarantaine, Iya (*) est confrontée à l’infertilité, surmontée parfois au sein des couples par le remariage du mari. C’est que très souvent l’infertilité est souvent synonyme de honte, d’exclusion ou de rejet. « Il [son mari] m’a proposé de recourir à une insémination artificielle, j’étais surprise mais très heureuse de sa décision. Ses parents s’y sont opposés au point de menacer de le renier »
Recourir à des méthodes médicales pour concevoir est aussi perçu comme une entorse aux normes « traditionnelles ». Au-delà des aspects techniques et légaux, la PMA se heurte donc à une forte pression socioculturelle. Mais le mari d’Iya a tenu tête et son épouse a pu réaliser son rêve d’être mère. Elle a subi une technique de procréation médicalement assistée, qui consiste à déposer du sperme préparé dans l’utérus de la femme afin de faciliter la fécondation. Selon Balkissa Touré, monitrice à la retraite, « les femmes doivent non seulement concevoir, mais aussi par voie naturelle, sinon elles sont pointées du doigt. Mieux vaut affronter les jugements que de renoncer à la maternité si on a les moyens de la PMA. »
Au Mali, la clinique Kabala a été une des pionnières dans ce domaine. À ses débuts, aucune femme enceinte ne passait devant cet établissement, par peur d’être stigmatisée. Entre 2004 et 2025, plus de 3 000 enfants sont nés grâce à ses soins, dont des jumeaux, triplés et quadruplés. « L’insémination artificielle est pratiquée dans le monde depuis plus de 300 ans, rappelle le promoteur, Djédi Kaba Diakité, gynécologue obstétricien de formation. Notre clinique est la première à l’avoir pratiquée au Mali en 2004. Nous avons été confrontés à beaucoup de préjugés au début. Aujourd’hui, nous avons quatre centres au Mali qui pratiquent les PMA dont trois privés et l’hôpital du Mali. »
Un enjeu de santé publique
Selon l’Office national de la santé de la reproduction du Mali (ONASR), la santé reproductive est une priorité inscrite dans le Plan stratégique de la santé de la reproduction de la mère, du nouveau-né, de l’enfant, des adolescents et la nutrition (2020-2024). L’infertilité, longtemps négligée dans les politiques sanitaires africaines, est désormais intégrée comme un enjeu de santé publique au Mali. « Le pays a adopté une loi spécifique dès 2016, révisée en 2025, qui élargit les critères d’accès aux soins PMA, notamment en étendant la tranche d’âge des femmes éligibles de 16 à 49 ans. Ce cadre législatif encadre les pratiques médicales, tout en offrant un appui institutionnel aux centres spécialisés, comme l’Hôpital du Mali. », explique Aminata Cissé, directrice générale adjointe de l’ONASR.
Sous la direction du professeur Boubacar Sidiki Dramé, médecin biologiste, l’unité PMA de l’Hôpital du Mali propose aujourd’hui toute une gamme de techniques. Elle comprend l’insémination intra-utérine (IIU), la fécondation in vitro (FIV) conventionnelle, la micro-injection intracytoplasmique (ICSI), et même la culture embryonnaire jusqu’au stade de blastocyste. « En 2024, plus de 4 000 couples ont consulté ce centre pour infertilité, dont 400 étaient éligibles à la PMA. Parmi eux, 200 ont effectivement bénéficié d’un traitement, avec une vingtaine de naissances et une quarantaine de grossesses en cours », confie le professeur Dramé.
A l’en croire, les techniques de PMA offrent un taux de réussite variable. Environ 17 % pour l’IIU, 45 à 80 % pour l’ICSI, selon les cas et les profils médicaux. L’âge de la femme reste un facteur déterminant et les chances de succès chutent drastiquement après 40 ans. « Les tarifs des traitements PMA varient entre 143 € (environ 93 000 FCFA) pour une insémination simple, à plus de 930 000 francs CFA pour une fécondation avec micromanipulation. À cela s’ajoutent les coûts des médicaments et analyses, non couverts par ces tarifs », ajoute-t-il.
Pour de nombreux ménages, ces prix représentent un investissement colossal. Les demandes d’aides ou de prises en charge pour les patients indigents restent rares et difficiles à satisfaire, faute de dispositifs publics de soutien financier.
Un cadre légal réformé mais encore restrictif
La loi n°2016-066 régissant la PMA a été jugée inadaptée face aux évolutions sociales et médicales – par les autorités maliennes. Parmi les changements introduits en 2025, la suppression de l’attente d’un an de mariage obligatoire, la levée de l’interdiction de traitement après 42 ans, et l’autorisation de conservation des gamètes à des fins médicales, notamment pour les patientes atteintes de cancer.
Certaines restrictions demeurent : la PMA n’est accessible qu’aux couples mariés, excluant de fait les célibataires ou les femmes souhaitant congeler leurs ovocytes pour raisons personnelles non médicales.
Malgré les efforts, les professionnels de santé doivent encore faire face à de nombreuses contraintes, tels que la pénurie de réactifs, le délai d’approvisionnement, l’absence de psychologues dans le suivi des couples, et la maintenance coûteuse des équipements (4 millions FCFA/an pour l’azote liquide). De plus, l’absence d’une couverture médicale universelle pour les traitements PMA exclut de fait une large partie de la population.
La PMA au Mali est en pleine structuration, à la fois médicalement, juridiquement et institutionnellement. Mais son avenir dépendra aussi de la capacité de la société à dépasser les tabous autour de la maternité, à reconnaître l’infertilité comme une condition médicale, et à offrir un soutien inclusif aux couples concernés.
(*) Le prénom a été modifié.
