Alors que le Mali enregistre des avancées significatives en matière de planification familiale, les disparités entre zones urbaines et rurales restent profondes. Édouard Keita, président du conseil d’administration de l’Association malienne pour la protection et la promotion de la famille (AMPPF), dresse un état des lieux et expose ses solutions.
Quel est aujourd’hui l’état général de la planification familiale au Mali?
La planification familiale au Mali connaît des avancées notables. Le taux de contraception moderne est passé de 6 % en 2012 à 16 % en 2018. En 2023, près de 970 000 femmes utilisaient une méthode moderne. Ceci a permis d’éviter 380 000 grossesses non désirées, 136 000 avortements à risque et 1500 décès maternels. L’objectif est d’atteindre 40 % d’ici 2030, avec 20 % de financement public des contraceptifs. Toutefois, de fortes disparités subsistent, notamment en zones rurales où le taux reste inférieur à 5 %, contre 23 % à Bamako. La fécondité y est aussi plus élevée.
Comment se manifestent les inégalités dans l’accès à la planification familiale entre les zones urbaines et rurales ?
En ville, les structures de santé sont plus nombreuses, mieux équipées et dotées de personnel qualifié. À l’inverse, les zones rurales souffrent d’un éloignement des services, d’un équipement insuffisant et d’un accès limité aux méthodes modernes. L’information circule plus facilement en milieu urbain, alors que les campagnes restent marquées par les tabous, la désinformation et la résistance culturelle. Les coûts liés au transport et aux consultations y sont plus élevés, avec peu de subventions disponibles. Les normes sociales et religieuses y sont plus pesantes.
Comment les combler ?
Il faut renforcer l’offre mobile, former le personnel rural, intensifier la communication locale, subventionner les services et inclure jeunes et hommes dans les actions de sensibilisation. Ces efforts visent une planification familiale équitable, adaptée aux contextes locaux, et centrée sur les besoins des populations les plus éloignées.
Quelles sont les principales interventions de l’AMPPF sur le terrain ?
L’AMPPF joue un rôle central dans la planification familiale et la santé sexuelle et reproductive au Mali, avec une approche communautaire et inclusive. Elle déploie des cliniques fixes et mobiles dans toutes les régions, propose des méthodes contraceptives modernes et intègre la PF post-partum et post-abortum. L’association mène des actions de sensibilisation via causeries, théâtres forum, radios communautaires et réseaux sociaux, en impliquant les leaders locaux. L’AMPPF mise aussi sur l’innovation, la collecte de données, la digitalisation du suivi des utilisateurs et la capitalisation des bonnes pratiques. L’ensemble de ses actions s’inscrit dans une logique d’équité, d’efficacité et de proximité avec les communautés.
Comment l’AMPPF intègre-t-elle les jeunes dans ses programmes de sensibilisation ?
Le Programme Jeunes, structuré autour de l’approche MAJ, engage les jeunes dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des projets. Des coordinateurs, représentants régionaux et clubs de volontaires animent des activités de proximité comme les causeries éducatives, théâtres, campagnes digitales et émissions radios. L’éducation complète à la sexualité est intégrée dans les interventions communautaires et scolaires, portée par des pairs éducateurs formés pour s’adapter à l’âge et au contexte culturel. Les technologies et réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp et TikTok permettent de diffuser des campagnes ciblées. Les services proposés sont adaptés aux jeunes avec des espaces dédiés, des horaires souples et une confidentialité assurée. Ces services couvrent la contraception, les IST, le VIH et les violences basées sur le genre. Des jeunes participent aussi aux instances décisionnelles de l’AMPPF, assurant leur rôle stratégique.
Quelles sont les priorités pour les cinq prochaines années en matière de planification familiale ?
La centration sur les personnes, partenariats durables, financement résilient, gouvernance renforcée. Ce plan 2023-2028 vise l’accès universel à la santé sexuelle et reproductive, avec un accent sur l’équité, l’inclusivité et la redevabilité. L’association entend intensifier les interventions en faveur des jeunes à travers l’éducation complète à la sexualité, le renforcement des clubs MAJ et leur implication dans la gouvernance. Les femmes marginalisées sont ciblées pour un meilleur accès à la contraception. Un plaidoyer renforcé est mené pour accroître le financement public de la planification familiale. L’innovation digitale est au cœur de la stratégie : plateformes de rendez-vous, suivi des clients, diffusion d’informations fiables. Des mécanismes de redevabilité sociale sont mis en place, avec collecte de données pour orienter les décisions et capitalisation des bonnes pratiques. L’offre de services est renforcée avec davantage de points fixes, mobiles et communautaires, l’amélioration de la qualité des prestations et la diversification des méthodes contraceptives. Les inégalités rurales-urbaines sont combattues par le déploiement de cliniques mobiles, la formation de relais communautaires et la sensibilisation en langues officielles. L’autonomisation des jeunes et des femmes constitue un levier transversal de cette stratégie.