Enflammés par les conflits géopolitiques, les discours de haine et les fausses informations montent en puissance dans le cyberespace de l’Alliance des États du Sahel (AES). De la même façon que nos gouvernements se mettent ensemble pour la gestion des grands enjeux internationaux, il est nécessaire que les sociétés civiles « confédèrent » aussi pour garantir un environnement numérique sain.
Le 6 juillet 2024, les chefs d’Etat du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont signé le Traité portant création de la Confédération des Etats du Sahel. C’est une nouvelle étape franchie par les trois pays dans l’affirmation de leur souveraineté, après qu’ils ont déclaré « irréversible » leur rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Avec la Confédération, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) n’est plus seulement une « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle », comme le préconisait la Charte du Liptako-Gourma. En plus de leur coopération en matière de défense et de sécurité, les Etats confédérés s’engagent à coordonner leurs actions diplomatiques sur les grands enjeux géopolitiques, coopérer en matière de progrès économique et financier, et promouvoir l’intégration des peuples à travers la libre circulation des personnes, des biens et des services, et le droit de résidence et d’établissement. Pour le reste, chaque Etat confédéré garde son indépendance et sa souveraineté.
Contexte de tensions
Il est à regretter que plus l’AES affirme sa souveraineté, plus les discours de haine et les fausses informations montent en puissance. Il suffit de mettre « AES » dans l’espace de recherche sur X ou Facebook pour voir défiler des dizaines de trolls diffusant des flots de haine et d’informations manipulées ou fabriquées de toutes pièces.
Cette pollution du cyberespace de l’AES résulte du contexte géopolitique soumis à d’innombrables tensions. D’un côté, l’avancée de groupes armés radicaux se réclamant de l’islam dans les trois pays confédérés fait qu’il y a toujours un risque d’amalgame et de diabolisation envers certaines communautés. De l’autre, les tensions entre l’AES et la CEDEAO font que pour montrer leur loyauté à leur camp, certains activistes ou internautes pensent qu’ils doivent tout faire pour maudire ou diaboliser ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis.
Pourtant, il ne faut pas oublier que, peu importe le chemin que l’AES et la CEDEAO vont prendre, les citoyens de leurs pays membres resteront des voisins, et devront vivre les uns avec les autres. Dans cette optique, il n’y a pas de raison que les divergences politiques entre l’AES et la CEDEAO entraine la haine entre des peuples frères. Les Maliens auront toujours besoin du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, et vice-versa.
Assainir le cyberespace
De la même façon que nos gouvernements se mettent ensemble pour la gestion des grands enjeux internationaux, il serait temps que les sociétés civiles se « confédèrent » aussi pour lutter contre les discours de haine et la désinformation. Au Mali, une loi portant répression de la cybercriminalité a été promulguée le 5 décembre 2019, mais force est de remarquer qu’elle ne parvient pas à stopper les infractions qui s’opèrent dans le cyberespace malien. Aussi, même si certains analystes reconnaissent que la loi sur la cybercriminalité « est bien orientée pour garantir une utilisation sûre et sécurisée des TIC au Mali », ils considèrent aussi que « certaines de ses dispositions constituent des menaces potentielles à la vie privée et la liberté d’expression en ligne » et nécessitent des révisions.
Il y a au moins deux domaines dans lesquels les sociétés civiles des pays de l’AES gagneraient à travailler ensemble. Premièrement, comme les fausses informations et les discours de haine sont sans frontières, les organisations engagées dans la vérification des informations devraient coordonner leurs activités dans l’objectif de garantir aux citoyens de l’AES l’accès à des informations vérifiées.
Deuxièmement, les sociétés civiles devraient s’engager ensemble dans une réflexion sur la meilleure manière de réguler le cyberespace de l’AES. Cette réflexion devrait viser à mettre en place des normes qui pourraient s’inspirer du Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation, adopté en octobre 2018. Ce code a permis à différentes sociétés et associations comme Google, Facebook, Twitter ou TikTok de s’engager à intensifier leurs efforts dans la lutter contre les informations, notamment en fermant les faux comptes et en prenant « des mesures à l’égard des comptes qui ont pour objectif de propager des éléments de désinformation ». Une action similaire est plus que nécessaire pour l’assainissement du cyberespace de l’AES.