La vidéo du prêcheur Bandiougou Doumbia, publiée sur le compte TikTok dénommé @inthe345, est détournée de son contexte. Sa version originale date de février 2020. A l’époque, en verve, ce prêcheur avait menacé le président Ibrahim Boubacar Keita et sa famille : une séquence retirée de la version récemment diffusée, ce qui a fait croire à certains utilisateurs qu’il s’agissait d’une récente vidéo.
Le 1er septembre 2024, un extrait d’une vidéo de Bandiougou Doumbia a été publié sur le réseau social TikTok, plus précisément sur ce compte. Dans l’extrait, on l’entend tenir ces propos en langue officielle bamanankan :
« […] Remettez moi deux lettres écrites et j’enverrai à Amadou Kouffa, comme lui il est plus craint. J’enverrai l’autre à Iyad, pour leur exprimer notre soutien. Je jure que je leur dirai qu’on les soutient. Je viens de quitter la région de Mopti, la population ignore certaines réalités du pays. » M. Doumbia, dans son intervention, a raconté l’histoire d’une victime de vol, qui s’est présentée à lui comme « djihadiste ». Après s’être fait voler une vache, elle n’avait pas été rétablie dans ses droits malgré l’engagement pris par le voleur auprès des autorités compétentes (M. Doumbia parle de la gendarmerie), avant d’avoir gain de cause dans un jugement rendu par ce que M. Doumbia appelle les « gens de Kouffa ». Son interlocuteur, selon M. Doumbia, lui aurait dit : « […] si on me demande de choisir entre Kouffa et le gouvernement malien, lequel je vais choisir ? ‘’Nous allons tous choisir Kouffa’’ », répondent certains dans l’auditoire. Et Bandiougou Doumbia ajoute : « Les jeunes, cherchez des bouteilles de verre vides, mettez du sable dedans, achetez de l’essence et mettez-le à côté. Brouillez les bouteilles de verres et ajoutez les dans les bouteilles de verres »
Les commentaires sous la publication révèlent une compréhension de son histoire et du contexte réel de la vidéo. Tandis que certains internautes condamnent fermement Bandiougou Doumbia et appellent à des poursuites judiciaires, d’autres semblent confus ou indignés par le ton provocateur et violent du contenu. « MCA en téléchargement », « c’est chaud, les gens sont sous dépression », « arrêtez-le » …sont entres autres les commentaires des internautes.
Sur le compte TikTok @inthe345, suivi par 65. 7000 abonnés, une image montrant cinq militaires est collée en haut de la vidéo, et en bas nous pouvons voir la photo de personnes qui pourraient être Amadou Kouffa et Iyad Ag Ghaly, le prêcheur Bandiougou Doumbia ainsi qu’une personne ressemblant au procureur du pôle spécialisé de lutte contre la cybercriminalité, Adama Coulibaly.
Pour rappel, au cours de ces derniers mois, le parquet du pôle en charge de la lutte contre la cybercriminalité a placé en détention préventive des prêcheurs. Ainsi, Chouala Bayaya Haïdara avait été placé sous mandat de dépôt. Il avait été inculpé en décembre 2023 pour des faits d’« atteinte au crédit de l’État par la diffusion de propos mensongers de nature à troubler l’ordre public », avant de bénéficier d’une liberté provisoire fin février 2024. Le 4 janvier 2024, l’imam Bandiougou Traoré avait été arrêté et placé sous mandat de dépôt. Libéré en mars, il a été à nouveau interpellé le 9 septembre 2024 après avoir tenu des propos controversés jugés discriminatoires et misogynes durant son sermon.
Deux ans de prison ferme
La mise en scène visuelle dans la vidéo – objet de notre vérification – laisse croire que le prêcheur Bandiougou Doumbia soutient les djihadistes contre le gouvernement actuel de transition. La vidéo a été « likée » plus de 2500 fois et partagé 169 fois. Sur ce compte, sont publiés des contenus tels que des prêches au vitriol, interventions sur la laïcité.
La vidéo originale date du dimanche 16 février 2020, lors d’un meeting de protestation des habitants de Tabacoro. Pour retrouver la vidéo, nous avons tapé dans la barre de recherche du réseau social Facebook « Bandiougou Doumbia, soutient Kouffa ». A l’époque, ces habitants étaient menacés d’expulsion de leur site d’habitation au profit de l’érection de logements sociaux. Le prêcheur Bandiougou Doumbia avait fait cette sortie qui avait suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Dans ses propos, il avait même proféré des menaces de mort contre l’ancien président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita et sa famille.
A la suite de ces évènements, le lundi 17 février 2020, il a été interpelé par la Brigade d’investigations judiciaires (BIJ). Bandiougou Doumbia a été déféré le 18 février 2020 à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, après avoir fait l’objet d’un mandat de dépôt. Son procès a eu lieu le 9 mars 2020 au tribunal de grande instance de la commune IV du district de Bamako au cours duquel il a été condamné à 2 ans de prison ferme.
En mai 2020, le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, pour une deuxième fois en deux mois, a gracié 400 prisonniers. Le guide de l’association Nouroudine Bandiougou Doumbia en faisait partie. L’objectif recherché était d’éviter la propagation du coronavirus en milieu carcéral
La republication de cette vidéo sur les réseaux sociaux pourrait semer la confusion parmi les utilisateurs de TikTok qui pourraient mal interpréter les événements passés comme étant liés au contexte sociopolitique actuel. Cette situation souligne l’importance de toujours vérifier les sources et de contextualiser correctement le contenu avant d’y croire ou de les partager en ligne.
Les réactions des utilisateurs sur l’extrait diffusé hors contexte, supprimé plus tard, prouvent le besoin urgent d’éducation aux médias et de sensibilisation pour développer l’esprit critique, afin de prévenir la propagation de la désinformation potentiellement dangereuse pour la stabilité sociale et politique du Mali.
