Et si les Femen étaient maliennes ?
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Et si les Femen étaient maliennes ?

Nu ou habillé, le corps féminin est au cœur des combats féministes. Entre tradition et émancipation, analyse d’un discours (anti)féministe.

Au Mali, le féminisme peine à trouver une légitimité. Les discours antiféministes oscillent entre rhétoriques naturalistes et un rejet pur et dur du féminisme pour son origine et son discours jugés incompatibles avec les réalités maliennes voire africaines.

Qui mieux que les Femen, groupe féministe radical fondé en 2008 à Kiev en Ukraine, adepte du « topless », pour représenter le féminisme ? Qui mieux qu’elles pour valider les discours réactionnaires à l’endroit de la nudité et de nous autres « hystériques » qui avons colonisé la toile malienne à coups de tweets, de challenges, de hashtags et autres joyeusetés virtuelles ?

Nudité et acte politique 

L’antiféminisme s’argumente essentiellement contre l’existence des Femen, l’archétype même de la féminité qui dérange. Une posture qui se justifie par la propension de celle-ci à manifester seins nus.

Pourtant, l’utilisation de la nudité comme arme politique n’est pas l’apanage des Femen. Des mouvements de femmes africaines l’ont utilisée bien longtemps avant elles. Ce mode de protestation s’inscrit dans une longue tradition. Durant les luttes anti-apartheid, on le retrouve dans plusieurs pays africains comme le Nigéria, la Guinée ainsi qu’au Mali où la nudité reste extrêmement taboue. Ce qui rend ce geste d’autant plus fort lorsqu’il est utilisé par des femmes adultes.

Cette transgression symbolise une cassure des règles de cohésion sociale et une malédiction à l’endroit des dirigeants masculins. Dans le subconscient collectif, il présage la chute du pouvoir en place. Action « consciente » et « choisie » ou symbole de « désespoir » et de « résistance » ?  La question demeure. Voyeurisme médiatique ou  frayeur maléfique ? Dans un cas comme dans l’autre, l’utilisation du corps féminin à des fins militantes est une arme redoutablement déroutante. L’attention est toujours au rendez-vous. Faut-il qu’elles en arrivent là pour qu’on daigne les écouter ?

La question de la nudité met en exergue un conflit culturel et politique entre deux visions qui divisent les féministes : d’un côté, celle d’une culture misogyne et patriarcale et, de l’autre, celle de la résistance qui peut tout de même prendre des formes paradoxales.

Tantôt la nudité est signe d’émancipation, tantôt elle signifie la capitulation face à un patriarcat espiègle où le corps féminin, assiégé, oscille entre hypersexualisation et domination. Qui à raison, qui à tort ? Piste de réponse avec Geneviève Fraisse : « Les femmes sont ainsi des otages, à leur corps et à leur esprit défendant, car elles ne sont plus la mesure de la liberté d’une société, mais servent au contraire à mesurer l’impossibilité de quelque chose dans une société. »

« Sacralité » du corps de la femme 

La comparaison entre les Femen et les aïeules africaines fera certainement grincer des dents. En effet, les premières sont vues comme une horde d’hystériques qui se déshabillent pour tout et n’importe quoi, et les secondes comme des amazones qui, en signe de désespoir, offrent au monde ce qu’elles ont de plus « sacré » : leur corps. Le pouvoir sacré émanant de cette action réside dans le caractère caché du corps de la femme africaine. Autrement, au gré des regards et des « passages », il perdrait sa valeur.

N’est-ce pas cette radicalité qu’on reproche aux Femen et, par la même occasion, au féminisme ?  De « profaner » et d’essayer de destituer cette « sacralité » ou ordre social établi par des hommes, sur le corps féminin, en l’offrant au regard de tous comme en Occident ? Les propos de l’essayiste marocaine Fatema Mernissi illustrent parfaitement cette rupture : « Les musulmans semblent éprouver un sentiment de puissance virile à voiler leurs femmes, et les Occidentaux à les dévoiler ».

La glorification de sa souffrance et cette vénération à outrance de son corps semble en apparence bienveillante, mais ne nous y trompons pas. Elle est bien paradoxale quand ce même corps est mutilé, brutalisé, traumatisé et transformé en une acquisition collective en temps de guerre. La femme africaine est ainsi réduite à un corps, à une « éprouvette » passive. Passivité qui ne la dédouane pas pour autant de la responsabilité de violences sexuelles « désirées », conséquence d’une culture du viol bien huilée. A cette brutalité subie, s’ajoute le discrédit et la honte de n’être plus qu’une denrée avariée donc inépousable. Cette « servitude volontaire », justifiée par l’excuse de la « nature », démontre la réclusion faite à la femme africaine d’exister en dehors du regard masculin.

L’antiféminisme serait-il Femen ?

Justifier le rejet du féminisme par le prisme du féminisme radical, en le définissant comme norme, c’est à l’instar des Femen s’arroger le droit et la prétention d’affirmer ce qu’est le « féminisme ». C’est diluer un mouvement d’idées, qui se conjugue au pluriel en un seul.

Aux antiféministes, j’avance volontiers le commentaire de Bakare-Yusuf : « […] Durant des millénaires, l’Afrique a fait partie de l’Europe, comme l’Europe a fait partie de l’Afrique ; cette relation a produit et nourri – et continue de le faire – tout un ensemble de traditions empruntées de part et d’autre. Nier cet échange interculturel et rejeter tous les emprunts théoriques à l’Europe, c’est contester l’ordre de la connaissance et, en même temps, méconnaître la contribution de divers Africains à l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe et vice versa […] ».

Au nom de ma génération, et comme l’écrit le forum féministe africain dans le préambule de sa Charte, « nous réclamons le droit et l’espace d’être des féministes africaines ».

  • Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas forcément celles de Benbere.o

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Les commentaires récents (4)

  1. Les Femen sont maliennes !Elles sont africaines !
    Après lecture je reçois comme une gifle, une gifle tant la comparaison faite est tellement bien expliquée. Auparavant j’avais jamais vu les FEMEN sous cet angle, on a toujours eu des FEMEN chez nous et nous sommes des FEMEN

  2. Article très intéressant. L’autrice nous ramène en arrière, l’origine du mouvement des seins nus. Les femen qui sont pourtant rejetées, par nos sociétés n’ont pas inventé cette manière de revendiquer. Cela a bien commencé en Afrique. Le corps féminin a toujours attiré l’attention. Il est sacré, tellement sacré que les femmes peuvent s’en servir pour bénir où maudire. Cependant on assiste à une hypersexualisation (forcée, j’ai envie de dire) qui n’aide pas les femmes. Qu’il s’agisse des femen ou non, pourquoi faut-il que les femmes se mettent nues pour être prisent au sérieux ou pour se faire entendre? Voilà là le début d’intéressantes réflexions. Merci Fatima