Mali : la jeunesse sous Viagra
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Mali : la jeunesse sous Viagra

De plus en plus de jeunes au Mali s’adonnent à la prise du Viagra, même sans problème d’érection. Ce phénomène inquiétant est décrit par le blogueur Issouf Koné. 

« Djo, moi quand j’attrape une go, elle comprend qu’elle a affaire à un vrai garçon, tellement je suis endurant », a confié un jour un ami de mon  grin, avec énormément de fierté. « Avant, je pouvais éjaculer en seulement 3 ou 4 minutes au maximum. Mais, depuis que j’ai commencé à prendre du Viagra, laisse tomber bro ! Parfois je me tape 30 minutes ou même plus. »

Tout comme lui, beaucoup de jeunes ont recours au Viagra ou à d’autres substances (pharmaceutiques ou pas), destinées à prolonger l’érection, alors qu’ils n’ont aucun problème érectile. 

Un médicament très utilisé

Découverte et brevetée en 1996, la Sildénafil est commercialisée sous le nom de Viagra. C’est un médicament à la base destiné à traiter l’angine de poitrine. L’érection que le Viagra provoque est en réalité un effet secondaire observé lors des études cliniques de phase I du produit. L’érection durable n’était ainsi pas le but recherché avant sa fabrication spécialement pour obtenir des effets sur la sexualité. 

Comme il n’existait pas officiellement de médicaments pharmaceutiques destinés à traiter l’impuissance sexuelle, la mission du Viagra a donc été réorientée dans ce sens.  Ainsi, il est devenu par excellence le produit le plus utilisé dans le traitement de l’impuissance sexuelle. Selon un rapport financier des laboratoires Pfizer (artisans du produit), il a rapporté 1,93 milliard de dollars en 2010. Environ 1.250 milliard de francs CFA. 

Un phénomène de mode

Ce médicament est prescrit surtout à des hommes qui deviennent faibles sexuellement. Ceux du troisième âge en majorité. 

Hélas, aujourd’hui au Mali, un constat alarmant est noté. Le Viagra est à la portée de tous, et des jeunes sans aucun problème d’érection s’adonnent à son utilisation. Objectif : prouver qu’ils sont « des hommes », comme ils le disent eux-mêmes. 

Ils prennent le Viagra comme on prend des bonbons, sans posologie et sans modération, et pendant plusieurs rapports sexuels, comme si leur vie en dépendait.

Pour certains, c’est une arme de règlement de compte : « J’ai dragué une fille pendant quatre ans, c’est seulement la cinquième année qu’elle m’a accepté. J’avais tellement une dent contre elle que j’ai pris trois pilules bleues le jour où on l’a fait. Elle a déguerpi. », explique Mamadou, content de son forfait. 

Des effets secondaires à craindre

« Pour des jeunes gens qui sont à l’aube de leur vie, c’est inquiétant. J’ai 62 ans, fiston. Une fois, on m’a prescrit du Viagra parce que j’avais du mal à avoir des érections. Je t’assure que j’ai passé presque 24h à bander comme un âne, même après avoir eu des rapports avec mon épouse. Le Viagra n’est pas du tout bon. Ne t’y adonne pas si tu n’as aucun problème d’érection », m’a témoigné un vieil ami de mon quartier. 

Selon Mohamed Cissé, médecin au Centre hospitalier universitaire du Point G, à Bamako, il existe bien d’autres effets secondaires du Viagra. On peut citer, entre autres, la dépendance. Beaucoup de jeunes ne peuvent plus maintenir des érections normales, sans prendre du Viagra. Certains, même après l’éjaculation, continuent à être en érection pendant 24h, avec une gêne physique et sociale. Le Viagra peut aussi être à la base de l’hypertension.  

Certains pharmaciens sont à blâmer, car ils se permettent de donner du Viagra à des gens qui ne possèdent aucune ordonnance. C’est une légèreté qui doit cesser. 

Ces médicaments sont également vendus dans la clandestinité, sur le marché noir. C’est pourquoi c’est difficile d’empêcher n’importe qui de se le procurer. Il faudrait qu’il y ait une vaste opération pour essayer de repérer ces produits sur ces marchés, afin de les incendier et amender ensuite tous ceux qui continueront à s’adonner à leur vente. Des peines de prison peuvent être encore plus dissuasives 

Il faut aussi une sensibilisation sur le terrain, afin que les jeunes comprennent l’importance de s’en débarrasser.


  • Go : une jeune fille, demoiselle.  
  • Djo : mon gars, mon ami, dans le langage courant
  • Bro : « brother » contracté, « frère » en anglais

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