Mali : violence conjugale, l’autre face cachée de la Covid-19
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Mali : violence conjugale, l’autre face cachée de la Covid-19

Si la violence conjugale a toujours existé, le fait pour les couples de ne plus pouvoir sortir trop, de devoir rester plus longtemps ensemble en raison de l’irruption de la pandémie de Covid-19, a exacerbé le phénomène, selon les spécialistes que nous avons rencontrés.

Cet article a d’abord été publié dans le journal Mali Tribune.

Aïcha est mère de 2 enfants. Son mari ? Elle l’a rencontré lors d’une rencontre chez une amie, et les choses sont allées très vite. « Au bout de deux semaines, on s’est mariés et notre vie de couple a ainsi commencé », raconte-t-elle, tout en évoquant le souvenir des bons moments passés en couple, avant les restrictions liées aux déplacements.

Au début, il se montrait très flatteur et cela faisait Aïcha se sentir importante. Avec l’arrivée de la Covid-19, ils ont commencé à être plus ensemble à la maison. Au bout d’un certain temps, il a commencé à dénigrer le travail de Aïcha, qui a fini par démissionner. Son calvaire au foyer ne s’estompera pas pour autant : « Il a commencé à m’accuser de parler dans son dos. Il se montrait de plus en plus jaloux vis-à-vis des nouvelles personnes que je fréquentais, vis-à-vis de mes collaborateurs et autres. Ensuite, ont suivi les insultes. Et quand je réagissais en lui faisant comprendre que sa façon de me traiter n’était pas correcte, il répondait que c’est moi et mon comportement qui le faisaient réagir de la sorte. Donc le problème c’est moi ».

Insultes et coups

En désespoir de cause, et pour sauver son foyer, Aïcha a préféré le silence et a arrêté de voir ses amis, ses parents et ses fréquentations habituelles. Elle ne trouvera pas pour autant grâce aux yeux de son mari, qui l’agressera, lui laissant des points de sutures au crane. « J’ai cru mourir ce jour-là. Quand j’ai commencé à aller mieux, j’ai porté plainte contre lui. Même là je craignais pour moi et pour mes enfants ».

Aïcha rappelle que cela ne plait à personne de devoir subir les insultes et les coups de son bien-aimé chaque jour ou tout le temps. A l’en croire, c’est pour les enfants que les femmes parviennent à supporter tout. Au début, elles sont convaincues que la situation va s’arranger. Mais, plus le temps passe, plus elles finissent par admettre et reconnaitre le pire.

Depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19, les médias et nombre de rapports ont fait état  d’une explosion des violences domestiques liées au confinement. « Mais, pour le contexte malien, je dois dire que cela est à méditer. Ce qui circule sur les médias européens, c’est vraiment propre à l’Europe parce qu’ils vivent en vase clos, en famille nucléaire. Souvent, rien que monsieur et madame avec, au grand maximum, un ou deux enfants  », nuance Dr Fodie Tandjigora, chef du département sociologie et anthropologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. « D’abord, au Mali, poursuit-il, vous pouvez trouver des couples qui n’exercent pas d’emplois réguliers et vous trouverez aussi des couples qui sont logés dans la grande famille. Donc, il n’y a pas réellement une violence consécutive à la restriction due à la Covid-19, parce que le couple réside déjà dans une famille étendue. Dans les grandes familles, au Mali, on ne peut pas dire que les restrictions ont amené une diminution ou une augmentation ».

Pour cet enseignant-chercheur, la perte d’emploi engendrée par la Covid-19 a tout de même eu un effet sur la violence conjugale. Nombre de travaux, tels que ceux de boulanger, boucher, hôtelier, tailleur ne pouvaient plus être exerces convenablement. Lorsque l’homme ne travaille plus et que les ressources sont réduites, alors que les dépenses restent les mêmes, cela peut entrainer un stress et des tensions au sein du couple. « Les chefs de famille, dans ce cas, ont connu effectivement des moments d’ébranlement, ajoute-t-il. Cela a donné lieu à une violence conjugale dans le contexte européen, mais très peu chez nous ici au Mali pour la simple raison que beaucoup de couples vivent dans des familles étendues et on ne vit pas enfermé comme en Europe. Le deuxième constat, c’est que ça a pu influer sur la violence dans la mesure où des emplois des chefs de famille ont été menacés et cela les expose à l’insécurité dans leur famille. »

Bonnes conduites pour vivre ensemble

Selon Dembélé Kéoulen, président du tribunal de la commune I de Bamako, la pandémie a entrainé un déficit de ressources, aboutissant à la rupture du lien conjugal. Des femmes trouvent que les insultes et les coups sont normaux dans l’intimité. Et, le plus souvent, elles ne l’évoquent qu’au cours des procédures. « Même là, c’est quand la violence survient en public qu’elles le mentionnent, car au moins il y a des témoins qui ont vu la scène », indique le magistrat. D’après ses observations, sur 100 cas de divorce traités, les violences conjugales surviennent dans 80 cas, bien qu’elles ne soient pas la seules raison.

Pour sa part, Fatoumata Diawara, griotte originaire du Mandé, évoque les bases du mariage et met l’accent sur les procédures et la différence qui existe entre le mariage d’avant et celui d’aujourd’hui au Mali. « Ce que je sais du mariage, rappelle la griotte, c’est que le mariage était fait sur la base du dambé, de l’origine, de l’environnement dans lequel la jeune mariée ou le jeune marié est issu. Des enquêtes étaient menées. Mais, de nos jours, les parents n’ont pratiquement pas leur mot à dire, car les jeunes se rencontrent dans la rue et décident de se marier ».

A ce niveau, Sékou Ballo, imam, abonde dans le même sens. Il explique qu’avant, n’importe qui ne pouvait parler ou mener les démarches pour une demande en mariage. Lorsqu’il y a des problèmes également au sein du foyer, c’est à ces personnes qu’incombent la responsabilité de dire et rappeler au couple en difficulté la bonne conduite pour vivre ensemble. Mais, aujourd’hui, tout cela a changé. Les mariages, aujourd’hui, ne tiennent sur rien pratiquement et tout le monde n’en fait qu’à sa tête, conclut la griotte.


  • « Cet article est publié avec le soutien de JDH – Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada »

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