Au Mali, les femmes sont systématiquement mises en cause en cas d’infertilité ou d’incompatibilité dans le couple. Celles qui n’arrivent pas à faire d’enfant vivent souvent un enfer.
Adolescente, mon père m’a mariée à son neveu. C’était une promesse faite à son défunt frère. J’ai donc épousé un parfait inconnu qui avait deux fois mon âge. Comme il vivait dans un pays voisin, je n’avais rencontré mon futur mari qu’une seule fois, lorsque son père est décédé, deux ans avant notre union. Nous ne savions rien l’un de l’autre et n’avions jamais échangé un mot.
Cependant, comme mon père y tenait, je suis passée par toutes les étapes d’un mariage à Bamako : aller au marché pour acheter la « valise de la mariée », choisir une robe de mariée, aller au salon de beauté et enfin aller à la mairie pour le mariage civil avec mon cousin étranger. Pendant notre séjour, nous n’avions échangé que quelques mots. Quelques mois après, il est retourné. Depuis, il n’a jamais appelé pour avoir de mes nouvelles.
Faire des enfants pour mon mari
J’ai vécu avec ma famille qui est aussi la sienne. Avec toutes les difficultés qui rythment la vie dans les grandes familles à Bamako. Où la nourriture n’est pas toujours comestible et chacun doit prendre soin de lui-même pour ne pas mourir de faim. Un matin, j’ai demandé à mon père de l’argent pour acheter de la nourriture. Il a non seulement refusé, mais m’a rappelé que je n’avais pas fait d’enfant. Reprenant ce qui était devenu l’hymne de la famille dès que je tourne le dos. Je n’en revenais pas, puisqu’il n’y avait aucun lien entre ma demande et sa réponse.
À l’époque, j’étais étudiante à l’université. Mon mari était absent depuis trois ans. Personne dans la famille ne m’adressait la parole, au motif que je ne faisais pas la cuisine pour ma belle-mère, qui voulait que j’abandonne l’école pour m’occuper du ménage.
Ce que les gens n’arrivaient pas à comprendre, c’est qu’avoir un bébé ne dépendait pas seulement de moi. Mon mari aussi devrait être interrogé. Cependant, tout le monde, y compris mon père m’avait blâmé. Ils croyaient que j’utilisais la contraception pour ne pas avoir d’enfant. Ce qu’ils ignoraient, j’étais persuadée qu’en utilisant la contraception j’irais en enfer, car mon rôle était d’être soumise à mon mari, à sa famille et faire des enfants pour lui.
…il s’agit plutôt de compatibilité
C’est ainsi que j’ai commencé à rechercher de l’aide médicale, en utilisant ma bourse. Les tests qu’on m’a prescrits étaient si nombreux que j’avais demandé l’aide de mon père. Lorsque je lui ai dit qu’un des tests consistait à vérifier si mon mari et moi étions compatibles, il s’est mis en colère et m’a dit de ne pas le faire. Avant d’enchainer:« Et si vous n’êtes pas compatibles ? Je ne paierai pas pour les tests ! » Pour lui, ne pas être compatible voudrait dire que je divorcerais. Ce qui était hors de question. Donc, je ne saurais jamais pourquoi nous n’avions pas eu d’enfant, après 8 ans de mariage.
Au lieu de faire des tests, mon mari m’a envoyé des médicaments traditionnels. J’en faisais un usage scrupuleux. J’ai fini par sentir des douleurs gastriques. C’est alors qu’un médecin m’a mis en garde, me disant que je risquais de développer un ulcère. Mon mari et moi avons fini par divorcer. 8 ans après notre séparation, je souffre toujours de douleurs gastriques et tout le monde croit que j’ai utilisé un moyen de contraception. Et comme si les allégations étaient fondées, mon ex-mari s’est remarié et a trois enfants. Moi j’en ai deux.
Il est triste que de nombreuses femmes aient vécu et vivent encore comme moi cet enfer. Beaucoup vivent avec un mari qui fait des enfants avec sa deuxième ou troisième femme et n’ont pas la possibilité d’en faire elles-mêmes, simplement parce qu’on croit que c’est toujours la femme qui est stérile. Il est donc important que nos sociétés cessent de blâmer les femmes seules lorsque le couple n’a pas d’enfant ou d’encourager les hommes à épouser une seconde épouse pour en avoir. Car il ne s’agit pas toujours de stérilité mais plutôt de compatibilité.