En période de crise, la communication peut être utilisée en guise d’arme d’intoxication massive quand la désinformation s’en mêle. En effet, dans le but d’accentuer une crise ou d’instaurer la confusion dans la tête des populations, des individus mal intentionnés peuvent manipuler l’information à leur guise. Quelles sont les effets néfastes de la désinformation en période de crise ? Éléments de réponses avec quelques experts de la communication.
Rodriguez Katsuva, journaliste et éditeur à Congo Check
« Déjà, que ce soit en période de crise ou pas, la désinformation peut littéralement affecter les vies des personnes. Cette capacité de nuisance est exacerbée surtout en période de crise. Actuellement, la crise en Ukraine par exemple, qui est un élément essentiel de l’actualité, ramène la désinformation même au niveau de l’Afrique, principalement dans les pays où l’influence russe est grandissante, avec notamment la question Wagner. La guerre se fait via les réseaux sociaux, les médias traditionnels ou tout autre cercle d’influence pour imposer sa vision. Il n’y a pas de gentils ni de méchants, tous les moyens sont bons pour manipuler l’information même si la vie des gens en dépend. »
Sikou Bah, journaliste et co-fondateur du site Le Jalon
« L’information est un enjeu majeur en période de crise ou de conflit, car c’est une période pendant laquelle les parties au conflit ou en crise essaient de tirer la couverture sur elles, en donnant l’information. C’est la raison pour laquelle, dans ce contexte, les médias de masse et les réseaux sociaux peuvent devenir de redoutables moyens de propagande. Ainsi, comme conséquence, la désinformation contribue à attiser la haine, la violence, à créer la méfiance entre les parties au conflit et à exacerber les divisions socioculturelles, ethniques, raciales ou même religieuses. »
Samba Dialimpa Badji, rédacteur en chef à Africa Check
« Les effets néfastes de la désinformation en période de crise sont divers et variés. Ils dépendent non seulement de la nature de la crise, mais également de celle de la désinformation. Si on considère le cas particulier de la crise liée à la Covid-19, nous avons un peu vu les conséquences de la désinformation autour de la maladie et aussi autour des vaccins. Cette désinformation, concernant d’abord la maladie, a poussé certains à la négliger. Une négligence qui nous a couté beaucoup, car nous avons vu par la suite comment la maladie s’est répandue dans le monde.
Les périodes de crise, en effet, sont propices à la désinformation. Les gens, en ces moments, deviennent anxieux et ont besoin de réponses à une multitude de questions qu’ils se posent. Ils croient, donc, facilement aux premières réponses qui leur tombent dessus, surtout quand on sait qu’on n’a pas besoin de beaucoup de temps pour créer une fausse information. Alors que, par contre, en vérifier une prend énormément de temps. La désinformation a un impact terrible, non seulement sur la gestion d’une crise mais aussi sur son évolution. Par exemple, quand on fait circuler une désinformation sur une communauté précise, on expose celle-ci. »
Aissata Sanogo, communicante
« La désinformation a un impact très néfaste sur la diffusion des informations dans la mesure où elle induit le citoyen lambda en erreur. L’information parait ainsi biaisée et est manipulée à d’autres fins. Ce qui peut, inévitablement, conduire à une fragilisation de la sécurité, alors qu’avec les différents coups de force que le Mali a connus, il est important qu’une «épuration» d’informations crédible se fasse, notamment au niveau des réseaux et médias sociaux, qui sont les canaux les plus utilisés pour la diffusion des fake news. »
Valdez Onanina, journaliste et coordinateur des communications à Africa Check
« Les conséquences des demi-vérités, des canulars et des informations trompeuses peuvent mettre en danger la vie des gens, allant d’une mauvaise utilisation des fonds et d’une mauvaise prise de décision à un mauvais diagnostic, voire à la violence et à la mort. C’est le cas en général, mais surtout en période de crise. Des informations factuellement fausses ou erronées peuvent empêcher de chercher ou de trouver de l’aide ou impacter négativement l’allocation des ressources ou les réponses stratégiques.
Je vous donne un exemple que j’aime souvent partager. Au début des années 2000 – vers 2003 – la polio était sur le point d’être éradiquée au Nigeria quand un groupe de religieux et de leaders politiques de trois États du Nord-est du pays ont fait une fausse déclaration indiquant que le vaccin contre la polio contient des hormones susceptibles de causer la stérilité chez les jeunes filles. Ils avaient ainsi demandé à leurs disciples et à leurs partisans de ne pas faire vacciner leurs enfants. Il s’en est suivi un regain de nouveaux cas : non seulement dans le Nord-Est, mais aussi dans d’autres régions du pays avec la propagation de la forme « sauvage » du virus. A la fin de l’année 2003, 255 cas de polio avaient été diagnostiqués. L’année suivante, ce chiffre a triplé pour atteindre 792 cas. Ce n’est que récemment, en 2020 si ma mémoire est bonne, que le Nigeria est parvenu à éradiquer cette maladie.
La désinformation en période de crise peut aussi renforcer un mythe source de préjudices, surtout dans le domaine racial, contribuer à marginaliser des individus et des communautés, créer une peur non nécessaire et la panique.
Les fausses informations peuvent se propager rapidement, souvent plus vite que les informations factuelles. Depuis le début de la pandémie de Covid-19 par exemple, ou encore de la crise malienne ou du conflit russo-ukrainien, le public a été inondé par une avalanche d’informations dangereuses. Les journalistes sont essentiels pour améliorer la qualité des informations disponibles. Le journalisme de qualité est l’un des moyens de défense les plus évidents contre la désinformation, car les médias sont l’un des principaux fournisseurs d’informations au grand public.
Mais, de nombreux journalistes, qui doivent déjà s’adapter constamment aux changements et aux nouveaux défis du secteur et de l’environnement en ligne, n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour vérifier les faits et s’assurer que leurs productions journalistiques sont factuellement vraies. C’est là le grand défi auquel nous devons apporter une réponse à travers la vulgarisation de la pratique du fact-checking, entre autres. »