Au Mali l’entreprise Sutura (2AD) se distingue avec des actions innovantes dans la création de serviettes hygiéniques réutilisables.
En 2018, Adam et Awa Drabo étaient encore étudiantes en agronomie. Lorsqu’elles étaient en train de rédiger leur mémoire de fin d’études – Awa dans la zone office du Niger et Adam dans la zone cotonnière de Sikasso –, une phrase revenait souvent : « J’arrête l’école pendant mes règles ». Elle les avait intriguées toutes les deux : la précarité menstruelle éloigne les jeunes filles de l’école. Or, l’hygiène menstruelle demeure un sujet tabou.
Pourtant, il est important d’aborder cette question, non seulement pour la santé et le bien-être des femmes, mais aussi pour des raisons économiques et environnementales. « On s’est dit que ça pouvait être une niche, surtout que c’était un produit qui n’existait pas encore au Mali en 2018 », raconte Awa qui rappelle qu’elles ont toujours voulu entreprendre. Après des formations en Angleterre et en Indonésie et une fois de retour au Mali, Adam et Awa Drabo ont travaillé sur le prototypage et la forme de la serviette hygiénique. Nous sommes en juin 2019.
C’est dans ce contexte que Sutura (2AD), leur entreprise, a vu le jour et se distingue par ses actions innovantes dans la fabrication de serviettes hygiéniques. Les serviettes hygiéniques réutilisables de Sutura représentent une solution économique pour les femmes maliennes. En effet, elles ne coûtent que 3 500 francs CFA et peuvent être utilisées sur une période de deux ans. Ce prix permet à de nombreuses femmes, surtout celles issues de milieux défavorisés, d’avoir accès à une alternative hygiénique et durable. « Au-delà des considérations économiques, ajoute Awa Drabo, les serviettes Sutura offrent également un avantage environnemental important. »
« Réduire l’empreinte écologique »
La cofondatrice de l’entreprise explique que les serviettes Sutura sont fabriquées à partir du coton et d’autres matériaux biodégradables. Ce choix de matériaux répond à un souci de contribuer « à réduire l’empreinte écologique liée à la gestion des déchets menstruels ».
L’implantation d’une telle initiative n’a pas été sans obstacles. L’un des défis majeurs rencontrés par Sutura réside dans les tabous culturels entourant les menstruations. Pour promouvoir l’utilisation des serviettes réutilisables, l’entreprise a dû surmonter ces barrières, sensibiliser les femmes à l’importance de l’hygiène menstruelle et les convaincre des avantages de ces produits. « Je me rappelle qu’à nos débuts une chaine de télévision avait refusé de diffuser notre spot publicitaire », se souvient Awa.
Un autre défi concerne l’accès aux matières premières. Bien que le Mali soit un grand producteur de coton, seulement 2 % de cette production est transformée localement, ce qui rend difficile l’approvisionnement en matières premières abordables pour la fabrication des serviettes. Au début, Sutura a dû importer l’ensemble de ses matériaux de Turquie, augmentant ainsi les coûts de production.
En 2020, Sutura produisait 500 serviettes hygiéniques par jour avec une équipe de production de 10 personnes. Aujourd’hui, elle en produit 930 avec la même équipe. « Grâce aux financements qu’on a reçus, qui nous ont permis d’avoir une assistance technique, en faisant venir des experts de l’étranger, notamment de Tunisie. Pendant quatre mois, ils ont aidé à optimiser notre production, à réduire les chutes, à donner des meilleures techniques aux personnes qui produisent ces serviettes hygiéniques pour qu’on ait moins de pertes. », poursuit-elle.
Distributeur de serviette hygiénique dans les écoles
Consciente des enjeux liés à l’hygiène menstruelle et à l’éducation, Sutura a également lancé des initiatives de distribution de serviettes hygiéniques réutilisables dans les écoles. Cette action vise à réduire les absences scolaires fréquentes des filles pendant leurs périodes menstruelles – un problème répandu qui a un impact direct sur leur parcours éducatif. « Dans le cadre du programme OWLA, on a eu l’avantage d’avoir une subvention qu’on devait utiliser dans une activité sociale à impact. J’ai décidé de mettre les distributeurs dans 14 établissements scolaires, parce qu’il y a clairement une déperdition scolaire à cause des menstruations. », affirme Awa Drabo.
Le distributeur est confectionné localement sur le prototypage des baby-foots. Les élèves y insèrent une pièce de 200 francs et reçoivent une serviette hygiénique. L’idée des 200 francs a pour objectif de sortir de cette dépendance vis-à-vis de la gratuité, parce que les promotrices de Sutura considèrent cela comme très problématique. En plus, cette somme permet d’entretenir le distributeur en cas de panne.
Le distributeur est juste un outil de dépannage pour les jeunes filles. L’action a donc été suivie d’une sensibilisation. « Avec une experte en santé sexuelle et reproductive, nous avons tenu des sessions de sensibilisation pour leur apprendre à calculer leur cycle mensuel. En partant de ça, on estime que si elles maîtrisent leur agenda mensuel, elles sauront quand leurs règles vont venir et auront une serviette hygiénique sur elles. Ça leur permettra également d’éviter les grossesses précoces, connaissant leurs jours d’ovulation. », argumente Awa Drabo.
Les actions de Sutura ne se limitent pas à la production de serviettes hygiéniques réutilisables. Elles s’inscrivent dans la promotion de la santé féminine, de protection de l’environnement et de développement économique local. En surmontant les défis socioculturels et économiques, Sutura vise une gestion menstruelle plus durable et accessible pour toutes les femmes au Mali et, potentiellement, dans toute la sous-région.