Dans le centre du Mali, les conflits entre les communautés posent la question de l’utilité de l’État. Les populations sont partout dans une situation d’abandon socio-économique. Au Mali, il faut une catharsis pour amener les communautés à se pardonner et à se réconcilier, écrit le blogueur Bokar Sangaré
A la fin, un pays compartimenté : il y a le Sud, il y a le Nord et il y a le Centre. Et dans le Centre, des zones entières échappent à tout contrôle étatique. Pourtant, tout ce qu’il s’y passe se sait d‘un Tweet, d’un post sur Facebook, d’un vocal sur WhatsApp. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants en sont réduits à voir leurs douleurs quotidiennes résumées en 140 signes ou en quelques phrases, que l’on partage chaque jour au gré des clics, de Bamako à Paris, de Mopti à New-York. Très difficile de trouver, en revanche, quelqu’un qui soit en mesure de décrire ce qu’il se passe réellement.
Tout ce que tout le monde sait, c’est qu’il y a des zones où le droit n’a plus cours et où l’on vit désormais avec ses propres règles. Ce qu’on sait aussi et qui fait courir tout le monde, c’est que les Dogons et les Peuls s’entretuent dans un conflit qui risque d’exploser dans des conséquences incalculables. Alors que de part et d’autre des deux communautés, des voix émergent pour alerter sur la magnitude du fossé qui se creuse insidieusement entre elles, et qui, disons-le tout net, doivent comprendre qu’un pays, un village, une ville, une commune, une famille restent des espaces de partage.
Une milice qui marque un tournant
Ces derniers temps, la dernière information est la création de la soi-disant milice peul Alliance pour le Salut au Sahel (ASS), qui se veut un mouvement politico-militaire et qui se fixe comme objectif la défense des Peuls contre les exactions des chasseurs Dozos, surtout ceux de la communauté dogon « Dan An Ambassagou ». C’est donc le sujet de la fin du mois sur lequel tout le monde s’est jeté, y compris les cadres peuls censés pourtant bien connaître la région, mais qui ne réagissent pas pour le moment, à l’opposé de ce qu’ils ont donné à voir lors de la création de l’éphémère Alliance nationale pour la défense et la sauvegarde de l’identité et la restitution de la justice d’Oumar Aldjana.
Il faut du coup se rallier à l’idée que la création de cette milice marque un tournant, car les associations qui défendent la communauté peul avaient jusqu’ici mis en garde contre l’usage de la violence. Mais, à propos de cette milice, il y a des questions à se poser : n’est-ce qu’un petit groupe de plus ? Les gens laissent-ils cette propagande se développer pour obtenir un effet épouvantail ? Et surtout, cette interrogation essentielle : pour quelles raisons ce nouveau groupe armé s’est-il créé ?
Il y a aussi cette interview d’Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale et cadre de la communauté peul, dans laquelle est développée la thèse d’un complot dans le centre, ourdi par ceux qui veulent faire du Mali une République fédérale. Mais passons et intéressons-nous à une autre interview, qu’un membre de la milice ASS a accordée à un site d’information parisien. Que dit-il ? Il y dénonce une instrumentalisation des communautés peul et dogon, qui sont des « frères », ajoutant que dans le « centre » toutes les communautés font partie des Peuls. Puis, il déroule une rhétorique qui remet en cause l’utilité de l’État dans les zones où la milice opère : « depuis l’indépendance, il y a un manque d’eau, d’électricité, d’infrastructure de développement. »
État de nature
Et c’est là le nœud crucial sur lequel on met rarement le doigt: pourquoi le « centre » est-il en passe de devenir une « no go zone » qui ressemble toujours plus à ce que Hobbes appelait « l’état de nature » ? Tout simplement parce que l’État y est « petit », inefficace, perçu comme un élément de cet état de nature et non comme l’arbitre impartial et le garant des droits individuels. C’est donc faire fausse route que d’ethniciser ce qui se passe au « centre » et d’aller jusqu’à parler de « génocide des Peuls », d’une « question peul » qui viendrait s’ajouter à la « question touareg », loin d’être réglée elle-même. A dire vrai, ce qui se passe dans ces régions est une situation sociale commune à tous les Maliens, une situation d’abandon de la part de l’État central dont on attend toujours qu’il réagisse. C’est tout. Rien à voir avec l’ethnie.
Alors, se pose la fameuse question de Lénine : « Que faire ? ». La réponse, ce sont les Dogons qui nous l’ont enseignée : réunir tous les Maliens sous le Toguna, autour du Hogon (en l’occurrence le chef politique au lieu du chef spirituel), pour réfléchir sur le sort du pays, décider de son fonctionnement quotidien. Mais aussi et surtout amener les communautés, dont les relations sont marquées par des siècles de rivalités féroces et de violences, à se dire la vérité, à se pardonner, à se réconcilier. Cette catharsis est le seul moyen pour le Mali de s’en sortir. Il faut un grand pardon.