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La fraude pour les nuls

Pour fêter l’ouverture de la campagne présidentielle, je vous propose un petit tour d’horizon des différentes méthodes de fraude à l’élection.

Attention, cette liste n’est pas exhaustive parce que je ne suis pas un spécialiste et puis j’ai choisi de regrouper toutes ces méthodes sous le terme de fraude pour simplifier, mais il serait plus juste de parler de « moyens d’influer sur le résultat de l’élection ». Un peu long n’est-ce pas ?

Dernière précision, la plupart de ces méthodes sont au bénéfice du président sortant ; ce n’est pas un biais de ma part, c’est juste la manière d’être des choses ; quand on est au pouvoir au Mali, on a un temps d’avance sur les autres. Comme disait feu Pascal Lissouba :

On n’organise pas les élections pour les perdre

Verrouillage institutionnel

Pour cette catégorie, on peut noter l’incomplète indépendance de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante), qui si elle est plurielle dans sa composition dépends exclusivement de l’État au niveau financier.

Aussi et surtout, ce n’est pas la CENI, comme on pourrait s’y attendre, qui organise l’élection, mais la DGE (Délégation Générale aux Élections), un service du MATCL (Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales). C’est donc bien le gouvernement qui organise les élections et la CENI ne fait qu’y participer.

Également, on peut noter les prérequis pour être candidat :

  • Déposer une caution de 25 millions de F CFA (~38 000€).
  • Obtenir le parrainage de 10 députés (sachant qu’il n’y a que 147 sièges à l’Assemblée Nationale et que la deuxième force derrière la majorité n’a que 18 députés).
  • À défaut des députés, ceux de 5 élus communaux dans chaque région du Mali ainsi que le District de Bamako.
    Pour cette élection, ça fera 40 parrainages car les régions de Ménaka et Taoudéni n’ont pas d’élus et que Kidal en est exempt puisque, la circonscription étant trop petite, elle ne comprend pas assez d’élus.

Ces critères sont bien sûr favorables aux plus gros candidats ; mais ces dispositions ont été majoritairement votées dans la dernière version de la loi électorale.

Propagande

L’ORTM (Office de Radiodiffusion Télévision du Mali) est une télévision d’État, entièrement dépendante du pouvoir qui nomme son Directeur Général et le remplace lorsque la ligne ne lui convient plus.

L’ORTM vient de passer cinq années à couvrir (et embellir) toutes les activités du Président de la République, en prenant soin de ne jamais évoquer les scandales qui le concerne ni d’émettre la moindre critique. [1, 2]

Ça veut dire que depuis 5 ans, tous les soirs, à la TV, il y a l’image et les éloges du Président et de ses gouvernements.

L’Essor, le journal papier d’État suit le mouvement dans une moindre mesure.

Également, on peut noter tout ce qui a trait à la propagande spécialisée ; le relais des fausses nouvelles du pouvoir :

  • « Le Président est revenu de son voyage avec 5 000 milliards de F CFA ».
    Est-ce de l’argent ? Des infrastructures ? Pour quand ? Où sont les détails ?
  • « La chine a offert un pont ».
    Est-ce un don ? Un prêt ?
  • Le Président a offert 100 millions de F CFA à l’association X.
    A-t-il offert de sa poche ? Est-ce une remise sur l’argent publique ?

Aussi, on peut noter le fil-rouge de la consolidation des acquis. Sous prétexte de difficultés, il faudrait une union-sacrée, ne jamais critiquer et toujours soutenir le pouvoir. Ne pas le faire serait « antipatriotique ».

L’instrumentalisation du soutien international va également dans ce sens ; où l’on veut nous faire croire que tous les partenaires ne sont pas juste des partenaires travaillant avec un gouvernement mais des soutiens, très satisfait du travail accomplis…

Toujours sur la propagande, on peut aussi citer le fait que l’ORTM soit la seule télévision analogique et donc la seule diffusée partout. Le régime actuel a d’ailleurs tout fait pour empêcher l’ouverture de ce secteur. Il a également créé la HAC (Haute Autorité pour la Communication), avec des règles aussi absurdes que l’obligation de demander une autorisation avant de filmer en extérieur.

Le financement officiel de la presse est également un bon levier pour le régime en place qui peut choisir de modifier le montant de la subvention ou changer les dates de distributions.

Enfin, mais cette fois cela concerne tous les partis, on peut noter l’achat de journalistes, ultra-répandu ; pour obtenir des articles complaisants ou à l’inverse, salir un concurrent.

Depuis 2013, on a également droit aux Équipes de Trolls, composées de jeunes passant leurs journées sur les sites d’information et réseaux sociaux pour encenser le candidat de leur parti et détruire les autres.

Achat de voix

Beaucoup plus concret, l’influence du vote par la distribution de cadeaux (pagnes, t-shirts, riz, sucre, etc). La nouvelle loi électorale interdit ces cadeaux pendant la campagne, mais ces pratiques continuent avec d’autres produits, via des circuits plus indirects.

Encore plus visible, l’achat de vote directement devant le centre de vote. Chaque parti a son repaire à proximité où s’effectuent les transactions : 1 000F (1,5€) en début de journée pour atteindre parfois jusqu’à 5 000F (7,5€) en toute fin de journée suivant le déroulement.

En fonction des modalités pratiques du vote (bulletin unique ou non par exemple), les représentants des partis réclameront des preuves de vote.

Report du scrutin

Plus difficile à mettre en œuvre, il peut cependant s’avérer très intéressant pour le candidat au pouvoir qui continue de jour de ses privilèges et de la couverture médiatique d’État alors que les autres s’essoufflent financièrement.

Peut également rendre caduque certains arguments de campagne (corruption, progrès) car dépassés par l’actualité (terrorisme, insécurité) et ne disposant plus de l’élan de la campagne (moins d’un mois).

Cartes NINA & cartes d’Électeur

Les cartes NINA, tout comme les cartes d’électeurs sont basées sur le RAVEC (Recensement à Vocation d’État Civil) effectué en 2010 et contenant beaucoup d’erreurs.

En 2013, il a été montré que plus de 800 000 cartes NINA étaient dans la nature. Ce problème n’a jamais été réglé et ce serait l’une des raisons de l’existence de la carte d’électeur pour 2018.

La loi électorale prévoit une utilisation de la carte NINA pour le vote, sur décision du préfet, dans les localités où la distribution des cartes d’électeurs aurait été perturbée mais aucun détail n’est donné : dans ce cas est-ce que tous les électeurs doivent utiliser la carte NINA ou est-ce au choix du votant ? C’est très différent.

L’avantage premier de la carte d’électeur est qu’elle est nouvelle et que sa distribution a lieu en ce moment. Le jour du vote, l’on saura précisément, pour chaque bureau, combien de personnes ont retirés leurs cartes (et pourront voter) mais surtout combien ne l’auront pas fait : autant de vote manipulable disponibles !

Enfin, on notera l’utilisation abusive des termes « biométrique » et « infalsifiable » pour qualifier la carte d’électeur en papier contenant pour seule donnée biométrique une photo vieille de 8 ans…

Fichier Électoral

Le fichier électoral, c’est bien sûr la liste des cartes d’électeur (ou NINA) et donc toujours basé sur le RAVEC. Il est censé être nettoyé et amélioré régulièrement…

Pour partie, il dépend des mairies car ce sont elles qui recensent les décès ; mais comme la population ne signale pas les décès à la mairie, que la mairie ne les signale pas à la DGE et que la DGE ne s’en enquièrent pas auprès des mairies, et bien les morts restent dans le fichier.

Actuellement, le fichier contient 318 personnes de plus de 110 ans !

Cette emprise dans le fichier est cependant une des raisons de l’intérêt de tous les partis pour les élections communales ; en prévision des autres scrutins.

Cependant, le plus intéressant avec le fichier électoral, c’est bien évidemment de le modifier. Prenons l’exemple d’un village comportant 1 000 vrais électeurs inscrits, on peut :

  • Indiquer 1 200 électeurs dans le fichier.
    Les 200 supplémentaires pourront être autant de votes fictifs à s’adjoindre.
  • Indiquer 800 électeurs dans le fichier.
    Pour gonfler le taux de participation ou limiter les dégâts dans des localités opposées.

Utiliser les deux méthodes permet surtout de les rendre invisibles aux niveaux d’agrégation supérieurs.

Il est alors indispensable de savoir où et combien les chiffres ont été manipulés ; et ça, seuls ceux qui préparent le fichier le savent.

L’agrégation des nombres d’électeurs permet également de masquer les manipulations ; d’autant plus que le contrôle du fichier est impossible :

  • La DGE, gestionnaire du fichier ne partage pas la version électronique.
  • Les partis politiques valident les chiffres, mais sans possibilité de contrôle.
    Si la D.G.E dit « ici on a 32 752 électeurs, êtes-vous d’accord ? », à moins que le chiffre soit aberrant vis-à-vis des chiffres précédents, ils seront validés.
    D’autant que chaque parti tente de tricher à ce niveau-là et se satisfait donc de l’opacité.

Enfin, la DGE ne publie pas les listes électorales pour les circonscriptions de l’étranger. Il faut donc leur faire confiance à 100% sur ces chiffres ; sachant qu’ils représentent aujourd’hui 450 000 électeurs soit 5% du corps national.

Bureaux de vote

La méthode principale consiste à multiplier et décentraliser les bureaux de vote au maximum, pour lisser la fraude.

Qui va contrôler 23 041 bureaux de vote ?

  • Qui va contrôler 23 041 bureaux de vote ? Personne.
  • Qui va contrôler 12 295 centres de vote ? Personne.
  • Qui va contrôler 11 422 villages ? Personne.
  • Qui va contrôler 748 communes ? Personnes.
  • Qui va contrôler 50 cercles ? Ah ça c’est faisable.

Mais comment contrôler des fraudes qui ont été plusieurs fois agrégées à travers tous ces niveaux ?

Les bureaux de vote peuvent aussi être placés dans des zones difficiles d’accès pour décourager les votants. Moi par exemple, inscrit à Hippodrome, au cœur de la Commune 2, je dois voter à Ngomi, à 7,5km dont la moitié de piste.

Plan Quartier Bamako Mali
Plan Quartier Bamako Mali

En rouge le centre principal (Mandela) du quartier Hippodrome en Commune 2 et en vert celui de Ngomi

A la fin de la journée de vote, donc, on fait voter les absents. Rien de bien compliqué. On « rempli » un bulletin (avec son empreinte), on « décharge » sur la liste (toujours avec son empreinte) et zou. Qui va aller comparer des empreintes sales sur des papiers au fin fond de ces 23 041 bureaux ?

Fraude aux résultats

Ici, très concrètement, il s’agit d’indiquer sur le PV (Procès-Verbal) un nombre de votes différent de la réalité, principalement en ayant acheté le chef de bureau et/ou les assesseurs. C’est une pratique courante. Le tarif pour cette prestation est généralement de 100 000F CFA (150€) d’avance, puis le double une fois la manipulation réalisée — pour Bamako.

Également possible, modifier le PV après la signature du chef de bureau et avant la transmission au cercle (via le centre, et la commune donc).

Ou encore, modifier les données au niveau du cercle puisque c’est à ce niveau que travaille la DGE pour la remontée des données.

Effet d’annonce

Il s’agit ici d’annoncer la victoire d’un candidat, avant la fin du dépouillement :

  • Pour donner l’impression d’une domination claire.
  • Pour faire apparaître les contestataires comme jaloux ou aigris.
  • Pour influencer le deuxième tour.

C’est ce qu’à fait en 2013 le Colonel Moussa Sinko Coulibaly, alors ministre de l’Administration Territoriale de la Transition. Avec seulement 30% de bulletins dépouillés, il a annoncé qu’il n’y aurait pas de deuxième tour.
Finalement, le premier n’a eu que 39% des voix et notre colonel de se présenter cette année à l’élection présidentielle !

Pression internationale

D’une manière générale, tous les partenaires, pays, organisations, industriels, sont en faveur d’une prolongation du régime, quel qu’il soit car ils savent à quoi s’en tenir et craignent les remises en question. C’est donc un bon avantage pour le sortant.

On peut citer également le mécanisme et les délais pour les recours, évidemment à charge du plaignant de prouver la fraude et de le faire très vite.

Aussi, le chantage à l’annulation, car aucun candidat ne souhaite devenir celui qui, n’ayant pas digéré sa défaite, va engendrer des dizaines de milliards de francs CFA de dépenses public.

Enfin, et c’est ici le plus important, le chantage à la crise post-électorale. On le sent monter depuis des mois et l’on comprend bien qu’en cas de fraude et de contestation, le perdant risque de s’asseoir sur ses ambitions pour « ne pas aggraver une situation déjà extrêmement difficile ».

Voilà pour mon tour d’horizons des méthodes maliennes. Libre à chacun de les croire dépassées, fantaisistes ou irréalistes. Mon petit doigt me dit cependant qu’on en entendra parler bientôt…

🎶 min ye min ye, o yo ye

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