Mali : Mylmo, la vérité et les patriotes 2.0
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Mali : Mylmo, la vérité et les patriotes 2.0

Les insultes et attaques contre le rappeur Mylmo s’inscrivent dans une tendance visant à faire taire les opinions dissidentes.

Dans l’émission Chili Tile de Renouveau TV, le 2 mars 2024, l’artiste rappeur Mylmo N-Sahel a tenu des propos qui lui ont valu des menaces et insultes sur les réseaux sociaux. Ces menaces ont poussé cet artiste engagé à prendre une décision difficile. Dans une lettre à ses fans, « Safazy et Safaza », Mylmo a fait savoir qu’il mettait « un terme à tout ce qui concerne Mali Ko (problèmes politiques maliens) » pour la tranquillité de sa famille et de ses proches.

Il a tout de même rassuré ses fans qu’il continuera « à chanter la vie » et « à chanter la mort ». Mylmo a eu le soutien des autres artistes, comme Master Soumy, qui a précisé que l’analyse de Mylmo était « pertinente et vraie ».

Une vérité qui fâche les faux profils

Mais qu’est-ce que Mylmo a dit et qui a fâché les « patriotes 2.0 se cachant derrière des faux profils pour insulter, injurier, calomnier ou menacer », d’après les termes de Master Soumy ? On peut résumer les propos de Mylmo sur Renouveau TV en deux idées.

La première : « l’électricité est une grande priorité ». Aucune personne vivant à Bamako, où on passe plus de dix heures par jour sans électricité, ne peut ne pas être d’accord. Avec la fournaise des mois de mars et avril, combinée aux âpretés du ramadan, les effets du déficit de l’électricité risquent de se faire sentir au centuple.

Ce qui a sans doute fâché les faux profils est que Mylmo dénonce le discours de certaines personnalités bien payés par les institutions de l’État, mais qui demandent au « petit peuple » d’accepter la souffrance au nom de la souveraineté.

L’AES et l’ouverture sur le monde

Le deuxième point de vue de Mylmo, qui a fâché l’armée des « prétendus nouveaux patriotes », concerne l’Alliance des Etats du Sahel (AES). C’est un sujet très sensible. Mylmo pense aussi que les pays de l’AES ne devraient pas se couper des autres pays africains. « Ce qui est bon pour l’Afrique, c’est d’ouvrir les portes, et travailler avec le monde. Parce que nous avons quelque chose pour le monde et le monde a assez pour nous », dit-il.

Les pays de l’AES (Mali, Niger, Burkina) ont annoncé récemment qu’ils quittaient la Cedeao. Sur ce point, on peut dire que les pays de l’AES ont déjà gagné, puisque la Cedeao a finalement décidé de lever les sanctions qu’elle avait infligées au Niger. Cette levée de sanctions est une main tendue de la Cedeao pour essayer de convaincre les pays de l’AES de rester dans la grande famille.

Après tout, l’AES peut exister sans que ses trois pays membres ne quittent la Cedeao. L’AES peut rester « une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle » et de lutte contre le terrorisme, comme le précise la Charte du Liptako-Gourma, et ces objectifs n’empêchent en aucun cas les trois pays de continuer à jouir des avantages de la Cedeao. Et surtout du droit de circulation des citoyens des pays membres. Ceci est possible si les trois pays décident de retirer leur décision de quitter la Cedeao avant que cette décision soit effective, soit avant février 2025, comme le prévoit la Charte de la Cedeao.

Pour nous, Mylmo a raison de vouloir un Mali qui reste ouvert sur le monde, et donc sur la Cedeao. Car si les pays de l’AES décident de se fermer à leurs voisins, ils risquent de perdre à gauche ce qu’ils veulent gagner à droite.

Pas de souveraineté sans liberté

Les insultes et attaques contre Mylmo s’inscrivent dans une tendance visant à faire taire les opinions dissidentes dans les pays de l’AES. Les autorités de ces pays ne cessent d’expliquer qu’ils sont dans une logique de reconquête de la souveraineté. Malheureusement, il est à regretter que certains sembler vouloir conditionner la reprise de cette souveraineté par le musèlement de toutes les voix divergentes, qu’elles soient celles des hommes politiques, journalistes, activistes de la société civile ou artistes.

Dans le journal Mali Tribune du 08 mars 2024, le sociologue Mohamed Amara propose de conclure « ce voyage au cœur des régimes transitoires par la responsabilité des exécutifs de l’AES à redonner espoir à leurs populations en conjuguant leurs efforts pour une gouvernance de qualité et pour cheminer vers un retour à l’ordre constitutionnel. La bienveillance d’une partie des populations à leur égard en dépend ». Cette gouvernance de qualité ne sera possible que si la liberté d’expression est assurée pour permettre à toutes les forces vives de ces pays de proposer des solutions aux nombreux problèmes qui handicapent les pays sahéliens.

Paul Valéry a dit : « La liberté est le seul bien pour celui qui a goûté à sa douceur. » George Orwell a ajouté : « La liberté, c’est de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit. » Les Maliens ont goûté à la douceur de la liberté depuis la « révolution » de 1991, et pour beaucoup d’entre eux, c’est le seul bien qu’ils disposent. Si on ne le leur retire pas, il y a espoir que le reste suivra.

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