Notre société du paraître, de l'argent et du faux
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Notre société du paraître, de l’argent et du faux

Il est courant au Mali d’apprendre : qu’un homme ou une femme d’affaires a donné un véhicule à un tel ; qu’une diva a reçu un véhicule de la part d’un autre grand entrepreneur ; qu’un fonctionnaire a reçu des biens d’un homme ou d’une femme d’affaires ou qu’un homme politique a reçu une somme d’argent d’un homme ou d’une femme d’affaires. Avec du recul, quel sens donner à tout cela dans la société ?

Les raisons et les sens sociaux de ces dons sont toujours bien justifiés et ont un juste écho au niveau socioculturel et des croyances. Ils se résument aux incantations suivantes : celui ou celle qui donne « devait donner à son griot, c’est comme ça » ; celui ou celle qui donne « devait donner à son esclave, c’est comme ça » ; celui ou celle qui donne « devrait donner pour s’acquitter de la zakat, c’est comme ça ». Et les justifications historico-culturelles et de croyances sont  interminables et toujours ajustées. Et pourtant, elles n’ont plus l’essence d’antan. Et posent plus de problèmes que de solutions à la société.

Dans ces dons, des questions restent taboues et n’ont presque jamais de réponses : d’où vient cet argent donné ? D’où vient l’argent qui a permis d’acheter cette voiture ? Y a-t-il une trace de la transaction (du don)? Personne ne pense à ces questions sur le moment ; tout le monde voit cette belle voiture, mais personne ne souhaite que ces questions soient posées. Personne ou presque ne souhaite que le débat soit ouvert autour de ces dons à plusieurs égards « possiblement problématiques ». Et la société toute entière s’auto-condamne pour l’espoir qu’un jour le tour de chacun arrivera, comme le tour de l’autre est arrivé hier.

Condamner à la régression et à la précarité ou sortir du faux

A chaque fois que nous acceptons de voir ses dons passés sans nous questionner sur les origines, nous participons individuellement à notre propre condamnation à la régression, à la précarité et à une certaine impossibilité de pouvoir nous tenir sur les genoux. L’émerveillement creux et insensé suscité par ces donations, malgré la valeur et la consistance qu’ils peuvent contenir, peuvent représenter des freins à notre développement individuel, au progrès social et à la compétitivité globale de notre société et des individus qui la composent.

Sans régulation de ces donations, nous donnons la chance à ces « donateurs » de corrompre la société (les jeunes enfants, les adultes et les groupes sociaux). Nous donnons la chance à ces « donateurs » de nous condamner à vivre dans l’attente éternelle d’un don. Plus qu’un signe de précarité et de désaffiliation sociale, il s’agit du chemin vers un précipice : celui de la déchéance et de la décadence individuelle et collective.

Un acte à encadrer sur l’espace public

Donner de l’argent ou des biens à un mendiant, à un désœuvré, à sa collectivité également peut se comprendre. Sans oublier que ce don peut être amené à être justifié. Cependant, donner de l’argent à quelqu’un qui pourrait avoir au même titre que le donateur lui-même est un acte qui doit interpeller, être intercepté et traduit. Surtout si l’acte se passe sur l’espace public avec ses corollaires d’impacts sur les plus jeunes. Par la non inquiétude des auteurs, la collectivité et ses représentants libèrent l’espace à la corruption ou à des actes qui peuvent susciter une corruption sans limite.

Au lieu que des artistes aisés se donnent de l’argent ou des biens pour être vus, pourquoi ne se mettraient-ils pas ensemble pour créer des studios d’enregistrement locaux ? Oui, monter des entreprises compétitives qui génèrent des ressources et créent de l’emploi. Là, il y a un impact positif. Pourquoi des hommes d’affaires ne se mettraient pas à travailler avec des ex-fonctionnaires pour mutualiser des compétences et créer des ressources et de l’emploi ? Et pourquoi l’État laisse faire ? Ces hommes d’affaires pourraient être encouragés à investir encore plus intensivement dans l’action publique et collective au lieu de s’adonner à ces pratiques qui détruisent aujourd’hui beaucoup plus qu’elles ne construisent.


Mohamed Maïga est ingénieur des politiques sociales

mohamedmaiga@aliberconseil.com

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