Au Mali, le président du parti Front africain pour le développement (FAD, soutenant le pouvoir actuel), Nouhoum Sarr, a affirmé que 33 % du territoire de ce pays était couvert en électricité. La déclaration n’est pas correcte.
Cet article a été réalisé par le journaliste malien Yacouba Dramé (plateforme Benbere) dans le cadre d’un stage d’immersion au sein de la rédaction francophone d’Africa Check à Dakar avec le soutien la Fondation Konrad Adenauer.
« Seulement 33 % du territoire malien est couvert en électricité », a déclaré Nouhoum Sarr, président du Front africain pour le développement (FAD), un parti soutenant le pouvoir actuel au Mali. Il est également premier secrétaire parlementaire du Conseil national de la transition (CNT), qui fait office de Parlement malien, et membre de la Commission des lois dans cette institution intérimaire.
M. Sarr s’exprimait le 20 septembre 2022, à Bamako, lors d’un atelier regroupant des membres de la société civile et de partis politiques. Cette rencontre publique était organisée par le Centre malien pour le dialogue inter-partis et la démocratie (CMDID) et portait sur la nouvelle loi électorale malienne adoptée le 17 juin 2022. A l’étape de projet, le texte législatif contenait une proposition concernant un vote électronique qui n’a pas été retenue dans la loi adoptée par le CNT en raison, selon Nouhoum Sarr, du faible taux d’accès à l’électricité dans le pays.
Nous avons contacté Nouhoum Sarr pour savoir la source du taux qu’il a avancé. « C’est un responsable technique de la société Énergie du Mali qui m’a parlé d’un chiffre de 33 à 37 % », a-t-il répondu, sans plus de détails. Énergie du Mali (EDM) est la société publique chargée de la production, du transport et de la distribution des énergies dans le pays.
Africa Check a sollicité à plusieurs reprises des responsables à EDM pour les besoins de cet article. Nos demandes sont restées sans suite jusqu’à la mise en ligne de ce texte.
Qu’est-ce que le taux d’électrification ?
« L’accès à l’électricité désigne le pourcentage de personnes dans une zone donnée qui ont un accès relativement simple et stable à l’électricité. On peut également l’appeler le taux d’électrification », explique Energy Education , un site de vulgarisation sur les questions d’énergie animé par un professeur de l’Université de Calgary, au Canada, et des étudiants.
« L’accès au service de l’électricité est exprimé par les termes suivants qui sont souvent synonymes : taux de couverture géographique, taux de desserte, taux d’électrification ou simplement taux d’accès à l’électricité », détaille la Direction nationale de l’Énergie, dépendant du ministère malien des Mines, de l’Énergie et de l’Eau. Selon elle, le taux d’accès de la population à l’électricité se définit comme « le nombre de personnes ayant accès à l’électricité par rapport à la population totale ».
Quel est le taux d’électrification au Mali ?
L’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui regroupe huit pays d’Afrique de l’Ouest ayant en commun le franc CFA comme monnaie, s’est doté d’un Système d’information énergétique (SIE-Uemoa), un projet mené en collaboration avec l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD). Il s’agit, selon l’Uemoa, « d’une base de données commune permettant de connaître la situation globale de l’énergie sous toutes ses caractéristiques (consommation, production, approvisionnement, sources d’énergie, etc.) ».
En 2019, le SIE-Uemoa a publié un rapport sur ce secteur au Mali, intitulé « Chiffres clés sur l’énergie au Mali et dans l’espace Uemoa ». Selon ce document, en 2018, le taux d’accès à l’électricité au Mali était compris entre 40 et 60 %.
La Direction nationale de l’Énergie a mentionné un taux d’accès à l’électricité estimé à 53,6 % en 2021 au Mali, d’après un tableau récapitulatif de ces chiffres de 2017 à 2021 transmis à Africa Check. « La progression du taux d’accès à l’électricité a évolué ces cinq dernières années à un rythme descendant. Cette diminution de la progression dans ces cinq dernières années se traduit par la pandémie à Covid-19 (la maladie à coronavirus 2019) et à la crise sécuritaire que connaît le pays ayant entraîné un ralentissement des projets », a justifié ce département gouvernemental.
Que disent les dernières statistiques internationales ?
Il existe une organisation née d’une initiative mondiale dite « Énergie durable pour tous » (SEforAll ou SE4All, d’après le sigle de l’expression en anglais « Sustainable Energy for All »). Elle a pour mission de travailler pour « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable d’ici 2030 », un des Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU. SEforAll suit les progrès mondiaux menés en direction de cet objectif.
On retrouve des données de cette organisation et d’autres structures spécialisées dans la base de données dédiée de la Banque mondiale, et notamment sur l’accès à l’électricité au Mali. La plateforme permet de suivre l’évolution du taux d’accès à l’électricité au Mali de 1996 à 2020. D’après les données de 2020 (les plus récentes disponibles), le taux d’accès à l’électricité de la population malienne était de 50,56 % la même année.
Pour le même taux concernant le Mali, le rapport sur les progrès énergétiques 2022 (ou, en anglais, Energy Progress Report 2022), donne un chiffre proche pour 2020 : 51 %. L’Energy Progress Report est une base mondiale de données sur l’Énergie, coproduite par cinq agences et institutions internationales dont la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’Énergie (IEA, d’après le nom en anglais, International Energy Agency) et l’Agence internationale pour les Énergies renouvelables (Irena, d’après le nom en anglais, International Renewable Energy Agency).
Comment expliquer la différence entre les chiffres des autorités maliennes et des organisations internationales ?
Africa Check a posé la question à Salim Mouléro Chitou, un Béninois, expert en système d’information et planification énergétique. D’après ce spécialiste, « les divergences de valeur sur le taux d’accès à l’électricité » sont liées à ce sur quoi porte l’accès : certains se réfèrent à l’accès des ménages à l’électricité, et d’autres à l’accès des populations à l’électricité.
Selon Chitou, en la matière, il serait plus avisé de se fier aux chiffres de la Direction nationale de l’Énergie, structure gouvernementale qui « publie les taux calculés sur une méthodologie acceptable ».
En l’occurrence, un taux d’accès à l’électricité estimé à 53,6 % en 2021.
Conclusion : la déclaration de Nouhoum Sarr est incorrecte
En septembre 2022, Nouhoum Sarr, un chef de parti politique siégeant à l’institution faisant office d’organe legislatif au Mali, a affirmé que « seulement 33 % du territoire malien (était) couvert en électricité ».
La Direction nationale de l’Énergie, sous la tutelle du ministère malien des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, parle d’un taux d’accès à l’électricité de 53,6 % pour le Mali en 2021.
Des bases de données internationales sur les questions d’énergie consultées par Africa Check ne disposent pas de statistiques pour 2022 et 2021 pour ce pays. Les derniers chiffres disponibles datent de 2020 et font état, pour cette année-là pour le Mali, d’un taux d’accès à l’électricité de 50,56 % (base de données de la Banque mondiale) et de 51 % (rapport sur les progrès énergétiques 2022 ou Energy Progress Report 2022).
Salim Moulérou Chitou, expert en système d’information et planification énergétique, a jugé plus avisé de se fier au taux de la Direction nationale de l’Énergie, calculé d’après « une méthodologie acceptable ».
L’affirmation de Nouhoum Sarr n’est donc pas correcte.