Le combat pour éradiquer « l’achat des consciences » de la scène politique malienne semble voué à l’échec. Le clientélisme électoral semble avoir même de beaux jours devant lui tant il est intériorisé à la fois par les hommes politiques et les citoyens. Dans cette deuxième partie de notre interview, Lamine Savané, enseignant-chercheur à l’Université de Ségou, et chercheur post-doctoral Goethe Francfort/Main (Allemagne) et Point sud (Bamako) au projet PAPA (Pilot African Postgraduate Academy), partage ses réflexions sur l’achat des consciences.
Comment expliquez-vous « l’achat des consciences » des électeurs par les candidats ?
Nous avions esquissé quelques réponses lors de notre précédent entretien. La sur-monétarisation des formes quotidiennes de sociabilité (Jean-Pierre Olivier de Sardan) sert de socle à « l’achat de conscience ». La relation clientélaire tire donc sa légitimité de la banalité des solidarités primordiales en vigueur dans nos sociétés (le prix du cola, donner les frais de taxi à sa cousine, etc.) et qui sont monétaristes. Mais, je crois aussi que la persistance de « l’achat des consciences » au niveau des citoyens tient au fait que les populations sont convaincues que les élites politiques sont fondamentalement corrompues. Or, on ne peut les blâmer quand on voit le train de vie des institutions de la République, ou de certains fonctionnaires d’État. Ils estiment donc, tout naturellement, qu’ils récupèrent leur part du dénier public qui leur a été confisqué.
Les dirigeants ont donc une responsabilité dans « la marchandisation du vote » ?
C’est assez complexe que vous ne le croyiez, car il faut toujours se méfier d’une vision manichéenne d’un fait social. Mais on peut affirmer que « l’achat des consciences » est le résultat d’une défiance des citoyens envers l’élite politique. Il est intéressant d’approfondir l’imaginaire populaire que les citoyens ont de l’acteur politique au Mali. N’a-t-on pas l’habitude de qualifier le politicien de tricheur « politigui mogo» ? Ce qui signifie vulgairement l’homme politique, en bamanakan, a une connotation très négative. Cette représentation que les citoyens ont de l’homme politique contribue à saper la relation de confiance qu’il peut y avoir entre les électeurs et les élus. Or, rien n’a été entrepris par les décideurs politiques pour rétablir cette relation de confiance. Au contraire, depuis l’avènement de la démocratie, les périodes d’élection contribuent à renforcer ce sentiment anti-élite, les projets de sociétés sont relégués au second plan par la distribution des pièces sonnantes et trébuchantes. A cela, s’ajoutent toutes les promesses faites aux électeurs (construction d’écoles, d’hôpitaux, etc.), par les députés candidats tout en sachant bien qu’ils n’ont pas de budget pour cela. Ils exploitent la méconnaissance du rôle du député par une grande majorité de la population. En procédant ainsi, les hommes politiques se rendent d’une certaine façon coupables aux yeux des citoyens qui se disent donc être dans leur droit de recevoir leur part du « gâteau ».
Selon vous, comment lutter contre l’impact de l’argent dans les élections ?
C’est une question pertinente. Mais si j’avais une réponse toute faite à la question, je serais ravi de vous la donner. Je ne suis pas juriste, mais je crois qu’en premier lieu la lutte contre « l’enrichissement illicite » ne doit pas être un simple slogan, mais une volonté manifeste des gouvernants. Les efforts si minimes soient-ils du ministère de la Justice et du pôle économique sont à saluer sur ce point, même si on peut discuter de la question d’une justice sélective. En deuxième lieu, il faut plus d’éducation et de références morales. D’éducation, car l’école reste la seule institution à permettre à un individu de se soustraire à la pression religieuse, communautaire ou parentale. La société malienne souffre énormément du manque de référence morale. Car la référence pour les jeunes, c’est d’avoir une voiture 4*4, une villa, un verger (les 3 V) pour reprendre les termes de Jean-Loup Amselle, le tout sans avoir à travailler comme le voisin d’à côté. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que « l’enrichissement illicite » soit banalisé.
Donc, pour vous, le combat contre la corruption politique est perdu d’avance ?
La corruption politique n’est pas l’apanage du Mali, elle existe dans tous les pays du monde. Mais ce qui est frappant, c’est qu’elle est presque institutionnalisée au Mali, car aucun pan de la société n’y échappe. Ce n’est donc pas demain la veille que la corruption politique disparaitra d’un coup de baguette magique. Mais pour cela, il faut une prise de conscience de la population pour élire des députés qui se soucient réellement de leur population. Aussi, l’attrait du citoyen malien pour l’argent facile est l’une des raisons de la pérennisation de la corruption politique. La moralisation de la vie politique passe par la prise de conscience de la population et aussi le goût de l’effort pour gagner sa vie. Ce travail doit commencer dans les familles en amont avant qu’il soit un problème public.
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