[Témoignage] « Pour son honneur, ma mère m’a fait avorter »
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[Témoignage] « Pour son honneur, ma mère m’a fait avorter »

Ce témoignage, sous la plume de Niamoye Sangaré, est celle d’une mère de deux filles aujourd’hui qui a eu recours à la pratique de l’avortement clandestin pour préserver la « dignité » de sa mère dans la société.

« De longues nuits blanches, des saignements accompagnés de douleur, l’image des outils utilisés me hantent encore. Je me suis toujours sentie coupable vis-à-vis de l’auteur de ma grossesse et de ma conscience.

J’ai toujours été une jeune fille timide et bien organisée, qui prenait ses études aux sérieux. Mais après mon bac, j’ai rencontré un jeune homme sur la « colline du savoir » (université de Bamako) dont j’étais éperdument amoureuse. Après une année de relation nous avions décidé de passer à l’acte. Pendant huit mois, nous avions eu des rapports intimes réguliers. Après chaque rapport, sous les conseils de mes amies, je prenais un comprimé de la plaquette de la pilule de contraception. Durant tout ce temps, j’ai vraiment cru que ce mode d’emploi était correct, car il n’y a pas eu de conséquences.

Avec le temps, j’ai compris que la pilule contraceptive prise chaque jour de préférence à la même heure était différente de la pilule d’urgence après un rapport sexuel non protégé ou mal protégé. Mais hélas, il était trop tard.

Mauvaise surprise

La mauvaise surprise ne tardera pas à faire surface. Je suis tombée enceinte pendant la troisième année universitaire. Contre toute attente, mon partenaire m’a soutenu dans mon choix de garder le bébé. Par contre, ma mère a piqué une crise de colère noire et a immédiatement exigé que je me fasse avorter dans les plus proches délais. « Il est hors de question que tu gardes ce bébé et faire de moi la risée de la famille. Personne n’a jamais eu un enfant naturel dans cette famille et tu ne seras pas la première. » Ces mots sont à jamais gravés dans ma mémoire.

Pour échapper à ce choix imposé, j’ai séjourné chez plusieurs amies. Mais contrainte par ma condition de vie, je me suis soumise à la volonté de ma mère. Celle-là qui, pendant 21 ans, n’a répondu à aucune de mes questions sur la sexualité. Celle qui fuyait le débat sur les méthodes de contraceptions, m’interdisait de parler de mes problèmes d’hygiène intime avec des personnes « inconnues ».

Nuit sombre

Ce fut la plus longue nuit de ma vie. Ma mère m’a trainée chez le vieux « charcutier » tard dans la nuit, déguisée pour tromper les regards indiscrets. Il était réputé pour la pratique de l’avortement clandestin contre la modique somme de 30.000 francs CFA. Ce soir-là, je me souviens qu’on était environ six jeunes filles à faire la queue. Certaines étaient accompagnées et d’autres non. Chacune évitait le regard de l’autre, personne ne voulait être démasqué.

Allongée sur une table, « le vieux solution », comme il se faisait appeler au quartier, a ainsi procédé à l’interruption volontaire de ma grossesse en dehors du cadre légal, ou tout simplement à un avortement clandestin. Pendant un mois, je me tordais de douleur, saignais et avais des insomnies. Il m’a fallu trois années de traitement pour pouvoir tomber de nouveau enceinte après mon mariage.

Aujourd’hui mariée et mère de deux petites filles, je ne m’en remets toujours. J’en veux toujours à ma mère, j’aurais aimé qu’elle m’aide plutôt pour éviter cette dure épreuve, car j’aurais pu y laisser ma vie.

Selon l’organisation mondiale de santé, chaque année 4,7% à 13,2% des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé. Dans les régions développées, on estime que pour 100 000 avortements non sécurisés, 30 femmes meurent. Dans les régions en développement, ce nombre s’élève à 220 décès pour 100 000 avortements non sécurisés. Optez pour la communication, la sensibilisation et une éducation à la sexualité pour prévenir le pire. »

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