Au Mali, l’argent joue de plus en plus un rôle essentiel dans les élections. Électeurs et candidats considèrent le processus électoral, selon Wamseru Asama, comme une vulgaire opération de vente aux enchères.
Dans l’euphorie de la révolution de mars 1991, les Maliens ont massivement voté pour des candidats appartenant pour la plupart aux partis issus du mouvement démocratique, particulièrement l’Adéma-PASJ et le CNID-Faso Yiriwaton, aussi bien à la présidentielle qu’aux législatives. Ainsi, en 1992, le premier Président élu démocratiquement a été le candidat de l’Adéma-PASJ, et le parlement de 116 membres comprenait 74 députés de ce part, soit une majorité absolue.
Cette majorité absolue ou relative a été maintenue pendant les 10 années de gestion du Président [Alpha Oumar Konaré, dit « AOK »] issu de ce parti et la décennie dirigée par son successeur, un sans parti, bien que cette suprématie soit allée decrescendo. En effet, pour la législature 2007-2012, sur 147 députés l’Adéma-PASJ n’avait que 51. Et à la législature suivante 2014-2018, le parti présidentiel, le Rassemblement pour le Mali (RPM) a eu la majorité, certes relative avec 61 députés, tandis que l’Adéma-PASJ, l’ancien parti majoritaire, s’est retrouvé avec 20 députés.
Mobilité des députés
A l’examen des résultats aux élections législatives, il se dégage que le parti du Président en fonction sort toujours vainqueur des élections législatives. Mais en faisant une analyse plus fine des listes des députés dans les différentes législatures, on s’aperçoit qu’il y a une grande mobilité des députés, soit en migrant vers d’autres partis, soit par renouvellement.
Il y a très peu de députés qui parviennent à renouveler leur bail vis-à-vis de leurs électeurs. La question qui se pose est : pourquoi une telle instabilité ou mobilité ? Cette question peut être posée d’une autre façon : quels sont les mobiles qui amènent l’électeur malien à voter pour tel candidat plutôt que pour tel autre ?
On pourrait, sans risque de se tromper, dire qu’à la première législature (1992-1997) c’était sur la base de la confiance aux partis issus du mouvement démocratique. On avait confiance en ces hommes et en ces femmes, qui ont combattu la dictature et en leurs programmes. C’est pourquoi, en comptabilisant les députés de ces partis (Adéma-PASJ, CNID-FYT, US-RDA, UFD), on compte au moins 96 députés sur 116.
Luttes acharnées entre militants
Par la suite, bien que les députés de ces partis issus du mouvement démocratique demeurent globalement majoritaires, à l’intérieur de chaque parti, on assiste à des luttes acharnées entre militants pour être candidat à la députation. Et c’est là qu’intervient un élément jusqu’ici inconnu : l’argent. En effet, à chaque législature, et chaque étape du processus électoral, ce facteur joue de plus en plus un important rôle.
D’abord au sein du parti, au cours « des primaires », les désignations des candidats dans une circonscription donnée se monnayent. Dans certains cas, on fixe une somme minimum pour prétendre postuler à la candidature. Ensuite, quand le candidat est choisi, il doit avoir assez d’argent pour supporter les frais de la campagne électorale.
Bien que la loi électorale interdise les « dons », les « prix de cola ou de sel » et autres civilités, les candidats n’en ont cure. Et les populations ? La plupart des potentiels électeurs font le jeu. Quand vous leur posez la question de savoir pourquoi prendre l’argent du candidat contre une promesse de porter le choix sur lui, ils vous répondent : « De toutes les façons, c’est le seul moment, ce moment de campagne pendant lequel on peut voir ces gens-là ! Après, une fois élus, ils restent à Bamako et on ne les voit jamais. »
Les candidats les plus fortunés, en bons samaritains, font des investissements en amont des élections dans le domaine social ou économique. Ainsi, certains font plusieurs forages pour l’accès des populations à l’eau, des équipements pour les structures sanitaires, scolaires, des dons de fournitures scolaires, des dons aux associations de femmes, de jeunes, etc. Candidats et électeurs jouent à malin, malin et demi. La plupart des électeurs ne connaissent pas le rôle du parlementaire et ne cherche même pas à le savoir. Les députés ou candidats à la députation laissent croire à leurs électeurs qu’ils peuvent jouer le rôle de l’État dans l’exercice de leur fonction.
Période de gain facile
Dans des villages organisés, le chef de village accueille les différents candidats et engrangent dans la caisse, ouverte à cette occasion, toutes les donations des candidats qui défilent en leur promettant leurs voix. La période électorale est devenue une période de gain facile, si modeste-t-il.
Au Mali, l’argent joue de plus en plus un rôle essentiel dans les élections. Malheureusement, ici on ne parle pas de projet de société et on fait la quête des voix comme dans un bazar. Électeurs et candidats considèrent le processus électoral comme une vulgaire opération de vente aux enchères. C’est dire qu’il faudrait du temps pour que l’électeur malien comprenne que le geste qu’il accomplit dans l’urne déterminera la qualité de son quotidien et l’avenir de sa nation.
- Adéma-PASJ: Association pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice
- CNID-FYT: Congrès national d’initiative démocratique-Faso Yiriwa Ton
- US-RDA: Union soudanaise-Rassemblement démocratique africai
- UFD : Union des forces démocratiques
Vous pouvez lire ici le rapport de Netherlands Institute for Multiparty Democracy (NIMD) sur « Le coût financier des campagnes électorales et des mandats électifs au Mali » publié en octobre 2019.
C’est une bonne initiative, pour sensibiliser les populations non instruits.