Bon nombre de jeunes cherchent à s’en sortir comme apprentis à bord des Sotrama. À Bamako, ce travail difficile plonge certains dans des travers psychologiques.
Il est 11 heures au Rail-Da, plaque tournante du transport urbain, située au cœur de Bamako. Des apprentis rivalisent d’ardeur pour attirer d’éventuels passagers. En feu, ils hurlent les noms de plusieurs quartiers de la commune I, desservis par les Sotrama. Reconnaissables par leur code couleur unique, le vert, les Sotrama sont pour la cité des « trois caïmans » ce que le métro est pour Paris, Rome ou Barcelone. Ils sont au cœur du trafic de la capitale malienne malgré leur vétusté.
Sur l’arrêt boueux, certains sont debout près de leurs kiosques. D’autres s’activent sous des parapluies. Des cafetières perchées sur des fourneaux rougeoyant de braise font bouillir de l’eau. L’ambiance est plus qu’électrique. Des « boomer radio » ouverts à fond tympanisent. Des sachets de vin, des boites de comprimés de « Sedaspir » et d’autres comprimés prohibés sont proposés aux initiés, de façon dissimulée.
« Il faut plus que de l’énergie »
Un apprenti présent sur les lieux semble importuné par notre présence et nos questions. « Il préfère attendre votre départ pour se procurer sa dose», confie le vendeur. Pour ne pas mécontenter la clientèle de notre hôte, nous décidons de nous éloigner. À quelques mètres de là, un autre vendeur est assailli par des clients : des apprentis en grand nombre. Chacun veut être servi en premier. D’autres clients, assis sur des bancs, sirotent leur café. L’un d’entre eux, accro à la nicotine, souffle des bouffées noirâtres de cigarette qui rendent l’air suffocant. « L’unité se vend à 50 francs CFA ou 100 francs CFA. Le prix varie selon les doses », nous explique le vendeur.
Dans le groupe, un jeune apprenti tend un billet de 500 francs CFA pour du café noir mélangé avec du vin. Interrogé, ce dernier nous répond, sous couvert d’anonymat, qu’il ne peut pas marcher sans cette formule : « Notre travail demande plus que de l’énergie. Il faut quelque chose qui puisse nous motiver. Vous ne pouvez pas faire ce travail sans cette composition enivrante pour appeler les clients avec ferveur et tenir bon à bord. »
À la question de savoir si le café noir mélangé avec du vin et d’autres produits ne risquerait pas de perturber ses facultés mentales, l’apprenti éclate de rire. « Non Korobalé (« grand frère »), en bamanankan. Au contraire, moi je garde intacte ma lucidité et je réussis à vaincre le sommeil ou la torpeur », ajoute-il.
Un autre apprenti abonde dans le même sens : « Tous les jours, nous parcourons Bamako de 5 heures à 21 heures. C’est très difficile à tenir. Un apprenti ne doit pas être mou », se justifie-t-il. Cependant, ce dernier affirme que le café et le thé lui suffisent comme excitants. Il est convaincu que les autres drogues mènent tôt ou tard à la démence.
« Certains arrivent à l’hôpital dans le coma »
Nombreux sont nos concitoyens qui ont un jugement péjoratif sur ces jeunes. L’apprenti Berthé dit se soucier peu des commentaires désobligeants à leur encontre. « Nous ne faisons que notre travail. Nous ne sommes pas des délinquants. Ces excitants nous permettent d’être au top toute la journée », se défend-t-il, en reconnaissant tout de même des effets néfastes. « Un 31 décembre, nous avons roulé toute la journée et toute la nuit. Pour tenir, j’ai pris beaucoup de café et de comprimés ajoutés à l’alcool. Le lendemain, je n’ai pas pu dormir. J’avais des hallucinations et de violents maux de tête. Je ne prendrai plus jamais de telles doses », confie-t-il.
Le ton du chauffeur Sidi est amer contre les apprentis qui s’adonnent à ces pratiques. « Moi je ne tolère pas ces choses. Quand je vois mon apprenti fumer ou prendre du café mélangé, je lui dis de chercher un autre patron », tranche-t-il.
Selon une source hospitalière, des apprentis sont parfois reçus dans un état critique : « Il y en a qui arrivent souvent délirants. D’autres avec des convulsions violentes. Certains dans le coma, sont transférés vers l’Hôpital Gabriel Touré, au service gastro ».