Yambo Ouologuem, l’auteur du célèbre Devoir de violence (Éditions du Seuil 1968), premier lauréat africain du prix Renaudot, a tiré sa révérence le 14 octobre 2017 à Sévaré, dans la région de Mopti. À l’occasion du troisième anniversaire de son décès, Dr Mamadou Bani Diallo, critique littéraire et professeur de lettres à la retraite, répond aux questions de Benbere sur cet auteur qui a eu « une destinée littéraire fulgurante ».
Benbere : En 2018, les Éditions du Seuil ont réintégré Le devoir de violence « Cadre Rouge » où il avait originellement paru en 1968. Pour vous, est-ce suffisant pour rendre justice à ce « grand roman » et réhabiliter l’écrivain ?
Mamadou Bani Diallo : Le fait de réintégrer est déjà un bon signal, parce qu’après 1972 les Éditions du Seuil ont eu quelques problèmes avec l’auteur et ont été obligées de retirer de la circulation les exemplaires restants du Devoir de Violence. Elle signifie que les Éditions du Seuil sont revenues à de meilleurs sentiments par rapport à l’ouvrage qui a connu tout un matraquage médiatique. Quant à savoir si cela est suffisant pour rendre justice à l’auteur, je dirais que « mieux vaut tard que jamais ».
Le devoir de violence peut-il être présenté comme le reflet d’une réalité précoloniale et coloniale, caractérisée par les violences, la sorcellerie, l’anthophagie, l’inceste, mais que l’Afrique refuse toujours d’assumer ?
Le devoir de violence est une fiction historique. Cette double dimension historique doit être prise en compte : d’un côté, l’auteur précise que c’est une fiction, et de l’autre côté il en parle comme d’une histoire. Le lien entre l’histoire et la fiction romanesque est constamment tissé à l’intérieur du roman à travers des images dont beaucoup remettent en cause un certain nombre d’idées reçues sur l’Afrique. Pour Yambo Ouologuem, la tendance qui consiste, au niveau de la négritude par exemple, à ne mettre en exergue que les valeurs positives de l’Afrique, n’est pas une attitude progressiste pour le continent. Les défenseurs de la négritude et quelques grands écrivains ont brandi la grandeur et la beauté de la civilisation africaine au point qu’on a l’impression qu’il n’y a pas de vices en Afrique. C’est cela que Yambo Ouologuem remet en question. Dans son livre, il renvoie dos à dos négrophile et négrophobie en disant que l’Afrique n’est ni meilleure ni mauvaise que les autres continents, car elle a ses qualités et ses défauts.
Yambo Ouologuem est le premier africain à avoir reçu le prix Renaudot en 1968 pour Le devoir de violence, avant d’en être déchu. On l’a accusé de plagiat. Ce qui a donné naissance à « l’affaire Yambo Ouologuem ». Il s’en est défendu. C’est une affaire sur laquelle il y a eu des travaux et beaucoup de choses en ont été dites. Avec le recul, que diriez-vous en tant que critique littéraire sur le « scandale Ouologuem » ?
Je voudrais rectifier que Yambo Ouologuem n’a jamais été déchu de ce prix, et malgré quelques accusations de plagiat et des attaques à caractère idéologique. Je dirais même qu’avec le temps, l’audience de Yambo Ouologuem s’en est trouvée plus grandie. C’est vrai que son image en avait pris un coup mais les spécialistes de la littéraire lui ont rendu justice au fil du temps en disant qu’on ne peut pas l’accuser de plagiat. Il a certes fait des emprunts et ne l’a jamais caché. Mais ces emprunts sont assortis d’un travail de réécriture au niveau de la forme et l’esthétique. Ne retenir que le plagiat est donc de la mauvaise foi. Ces emprunts étaient une façon pour Yambo Ouloguem de bousculer un peu les usages au niveau de la création littéraire en disant que les Africains ne se contentent pas seulement de reproduire les modèles occidentaux mais peuvent recréer à partir des techniques qui existent. On parle de plagiat lorsqu’il s’agit d’une reprise pure et simple.
Comment expliquez-vous que Ouologuem, salué à l’étranger, soit si peu connu chez lui au Mali, y compris dans les milieux académiques ?
Yambo Ouologuem n’est peut-être pas suffisamment connu au Mali, mais il y a quand même un certain nombre de travaux sur lui et quelques mémoires d’étudiants. Aussi, au niveau de l’université au Mali, Le devoir de violence est enseigné. Il faut rappeler que le festival Étonnants voyageurs [en 2005, ndlr] lui a consacré un café littéraire à Sévaré. Il y a aussi la Rentrée littéraire du Mali qui lui a consacré des espaces. Je dirais qu’il est connu au Mali mais peut-être certainement pas comme il le mérite.
Pour vous, que vaut Yambo Ouloguem aujourd’hui ?
Yambo Ouologuem est un grand écrivain. C’est vrai qu’il rame à contre-courant de l’idéologie dominante et de certaines tendances esthétiques littéraires. Ce qu’il est important de souligner, c’est que la parution du Devoir de violence marque un tournant important dans la littéraire africaine parce qu’il a renouvelé la thématique de cette littérature et, donc, la façon de parler de l’Afrique et des Africains. Il a eu le courage de porter un regard critique sur l’Afrique en remettant en question un certain nombre d’idées reçues. Il s’est montré anticonformiste. Pour lui, le conformisme est un facteur qui allait retarder le développement de l’Afrique, et les africains devraient s’assumer et sortir des idées reçues afin de s’émanciper et affirmer leur véritable personnalité.
Yambo Ouologuem a-t-il la place qu’il mérite aujourd’hui dans la littérature africaine, notamment malienne ?
Je dirais que Yambo Ouologuem occupe aujourd’hui la place qui lui revient dans la littérature africaine et dans la littérature malienne, parce que pour les spécialistes et les critiques il est une référence. Des travaux universitaires et des travaux de critiques littéraires lui ont rendu justice en faisant ressortir sa contribution au renouvellement et à l’évolution de la littérature africaine.
J’ aurai voulu qu’il soit plus enseigné au niveau secondaire, voire inséré dans le programme officiel du Mali.
Tres juste commentaire du prof. Mamadou Bali Diallo rapportant l’essentiel de l’oeuvre et de l’importance, meme pour les generations d’aujourd’hui, de l’auteur Ouologuem