[Tribune] Féminisme : éviter le bras de fer idéologique pour ne pas reléguer les priorités au second plan
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[Tribune] Féminisme : éviter le bras de fer idéologique pour ne pas reléguer les priorités au second plan

Le féminisme milite pour la promotion et la protection des droits des femmes. Mais, il peut desservir cet idéal s’il ne prend pas en compte les aspects endogènes et socioculturels. Les féministes devraient éviter de s’engager dans un bras de fer idéologique qui risque de reléguer les priorités au second plan.

Le féminisme, en tant que mouvement pour la justice sociale, défend une société égalitaire où les individus ont la liberté de choix et ne sont pas discriminés ou opprimés en raison de leur race, de leur appartenance ethnique, de leur classe sociale, de leur croyance religieuse, de leur orientation, expression et identité sexuelle. Cependant, le féminisme peut souvent engendrer les mêmes problèmes qu’il dénonce et essaie de combattre. Comme courant politique et idéologique, le féminisme peut être mobilisé pour servir certains intérêts et s’opposer à d’autres. Ce faisant, les féministes peuvent sciemment ou inconsciemment commettre des injustices.

Souvent, la femme est considérée comme intrinsèquement impuissante. Cette approche féministe est importante à analyser, car elle place le sexe au centre de l’oppression des femmes et maintient un binaire auquel les féministes se sont violemment opposées. Elle considère la morphologie des femmes comme la source de leur oppression. Elle les dépeint comme des victimes de l’oppression, mais surtout comme des victimes universellement impuissantes qui ont besoin d’aide pour échapper à l’oppression masculine.

La victimisation comme revendication

Ce procédé est biaisé, en ce sens qu’il place le sexe au cœur du problème et ignore le contexte socio-économique, politique ainsi que des facteurs telles que la classe sociale, la culture et la religion. Cette approche ne recherche pas la justice sociale mais, comme l’a noté Mohanty, déduit plutôt une inversion du pouvoir, donc un maintien de l’oppression et un changement du sexe opprimé.

Dans le contexte africain, des discours comme « les femmes souffrent » sont mobilisés pour lutter contre l’inégalité des sexes. Cela suppose que les femmes souffrent en raison de leur sexe mais ne tient pas compte du rôle que des facteurs comme le capitalisme, la religion et la militarisation ont joué dans le renforcement et le maintien du statu quo. Il est tout aussi important de tenir compte des facteurs d’interférence qui ont contribué à l’oppression des femmes plutôt que de se focaliser sur la question du sexe.

Cette approche « impérialiste » tend à considérer tout mal dont souffrent les femmes dans les pays en voie de développement comme étant enraciné dans les croyances religieuses et culturelles. Je qualifie cette approche d’impérialiste, car elle part du principe que la religion et la culture sont des entités distinctes de la société plus large, qui oppriment les femmes et ignorent leur nature idéologique. Cette approche ne tient pas compte de l’évolution de certaines pratiques et de l’impact de certains facteurs sur les femmes. Plus important encore, elle donne l’impression que certains discours et scénarios, religieux et culturels  ne sont pas malléables pour s’adapter à certaines idéologies et les servir.  Elle néglige la possibilité de mobiliser certains scripts et discours qui sont interprétés pour servir des objectifs patriarcaux.

Questionner les pratiques

Comme Narayan l’a fait remarquer, les fondamentalistes britanniques et hindous ont utilisé certains textes religieux pour servir leurs propres objectifs. Cela confirme la possibilité de la nature sélective de certaines pratiques, comme c’est le cas de beaucoup de discours qui utilisent la religion pour justifier l’oppression.

Certaines féministes ignorent non seulement ce fait et blâment la religion et la culture pour certaines oppressions, mais marchent également sur les pas des colonisateurs et des fondamentalistes en choisissant des portions de textes religieux pour illustrer et soutenir leur argument sur l’oppression des femmes. C’est très dangereux, car cela est devenu une opposition d’idéologies. Les féministes s’engagent donc dans la même mission qui consiste à sauver les femmes de leurs « croyances » et de leurs pratiques « barbares », comme l’ont fait croire les colonisateurs il y a des siècles.

Ainsi, les féministes devraient éviter cette approche et se concentrer plutôt sur le discours mobilisé pour justifier certaines pratiques néfastes. Elles devraient analyser et réfléchir à la nature des pratiques qu’elles veulent éradiquer, en particulier en s’interrogeant sur la manière dont elles ont été intégrées dans le mode de vie de certaines communautés. Je pense qu’elles devraient sérieusement chercher à comprendre pourquoi certaines pratiques sont ce qu’elles sont et comment les textes religieux et les excuses culturelles sont mobilisées pour les soutenir. Tout en faisant attention à ne pas s’engager dans un bras de fer idéologique qui risque de reléguer les priorités au second plan.

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