Au Niger, le sort précaire de Moussa Tchangari et des voix discordantes
#BenbereVerif : avec les «11 accords coloniaux », une théorie complotiste refait surface
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Un texte, publié sur différents sites web et réseaux sociaux dans différents pays africains, prétend qu’il existerait « 11 accords coloniaux » imposés aux pays africains depuis 1960. Les premières versions de cette « théorie du complot » auraient commencé à circuler au Cameroun il y a vingt ans. « BenbereVerif » a analysé certaines des affirmations contenues dans ce texte.

Le 17 août 2023, le site Maliweb publiait un texte intitulé « Le Mali rompt sa dépendance avec la France en annulant 11 accords coloniaux imposés aux pays africains depuis 1960 ». L’auteur, anonyme, explique que « Pour bien comprendre le dossier malien contre la France il [faut] remonter aux indépendances. Après les indépendances, 14 pays francophones ont signé 11 accords avec la France ».

Ce texte – qui n’est ni signé, ni daté – a été pris au sérieux par certains acteurs politiques maliens : il a été présenté par un participant au Dialogue inter-maliens au mois de mai 2024 pour expliquer que c’est sous la transition que le Mali a été vraiment indépendant.

Il a aussi été mobilisé au Niger, en janvier 2024 par l’universitaire Maïkorema Zakari, cité par le site Niger Inter. Dans une conférence sur la souveraineté, il a mentionné un accord nommé « pacte colonial », qui renfermerait 11 accords et qui aurait été signé le 24 avril 1961. Selon cet historien professant à l’Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger), l’objectif de cet accord serait de « perpétuer le système colonial, d’asseoir un cadre permanent de non-développement et la perpétuation du sous-développement des pays signataires ».

Au commencement était le Cameroun

Certains chercheurs se sont interrogés sur l’authenticité de ce document. C’est le cas de Bokar Sangaré, journaliste et doctorant en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui, sur son compte X, souligne que « c’est un peu inquiétant, à ce niveau, de diffuser dans un tel espace un document sans s’assurer de la validité de son contenu. »

Thomas L. Miles, chercheur indépendant sur l’histoire contemporaine du Sahel, considère ce document comme une « théorie du complot » amalgamant certaines pratiques de la « Françafrique » dans un seul « traité secret ». Il dit avoir découvert certaines versions de ce document à la fin des années 1990 sur un site web camerounais.  « Il est intéressant de noter que les premières versions que j’ai retrouvées […] ont été publiées dans un journal en ligne camerounais, affirmant que c’était la raison pour laquelle les électeurs devraient ‘’soutenir’’ Biya parce que lui seul avait le pouvoir de renégocier ce pacte secret d’une manière qui leur serait bénéfique », écrit-il sur X.

On retrouve ce même texte au Cameroun en 2020, sous la plume du député suppléant Alain Roosevelt Tidjio, qui affirme que « Paul Biya a officiellement refusé de renouveler les accords coloniaux entre la France et le Cameroun ».

Les vrais accords signés entre le Mali et la France en 1962

Pourtant, on ne trouve rien sur les fameux « 11 accords » parmi les accords signés entre le Mali et la France en 1962. En effet, le 17 juin 1964, le général de Gaulle a signé un décret portant publication des cinq accords signés entre la France et le Mali en 1962. Deux sont signés le 2 février. Il s’agit de l’Accord général de coopération technique et l’accord de coopération culturelle. Les trois autres sont signés le 9 mars 1962. C’est notamment l’Accord de coopération en matière de justice, l’accord de coopération en matière économique, monétaire et financière, et la Convention consulaire. Dans ces accords, le langage est diplomatique, technique et toujours courtois. Ils ont été signés par Jean Foyer pour le gouvernement français et Idrissa Diarra pour le gouvernement malien.

Confusion avec la dette coloniale imposée à Haïti

Le tout premier accord évoqué parmi lesdits « 11 accords coloniaux » concerne « La dette coloniale pour remboursement des bénéfices de la colonisation », mais l’auteur de ce texte a du mal à donner les détails sur ce supposé accord. « C’est-à-dire que les États nouvellement indépendants doivent rembourser le coût des infrastructures construites par la France pendant la colonisation. Nous cherchons toujours le détail des coûts, l’évaluation des bénéfices et des conditions de paiements imposés par la France aux pays africains », peut-on lire. Nous n’avons trouvé – nulle part – une preuve que la France a demandé à ses anciennes colonies d’Afrique de payer une « dette coloniale ». Par contre, nous savons que certains pays anciennement colonisés demandent des réparations pour les dommages subis, ou  la restitution de leurs biens culturels pillés durant l’époque coloniale.

Le seul pays, à notre connaissance, auquel la France a demandé une dette coloniale est Haïti. « En 1825, la France conditionna son octroi de reconnaissance à la nouvelle nation d’Haïti contre le versement de 150 millions de francs plus des avantages commerciaux. Les paiements ont été, du moins en partie, une compensation pour les pertes subies par les planteurs français, dont un élément clé était la perte d’esclaves haïtiens, qui ont pris leur liberté par la révolution. », écrivent  des économistes et juristes.

Des accords secrets de défense réels, mais pas entre le Mali et la France

Le supposé « Accord n⁰6 » parle du « droit pour la France de déployer des troupes et d’intervenir militairement dans le pays pour défendre ses intérêts. » L’auteur explique qu’« en vertu de ce qu’on appelle ‘’les accords de défense’’ attachés au pacte colonial, la France a le droit d’intervenir militairement dans les pays africains, et aussi de stationner des troupes en permanence dans les bases et installations militaires, entièrement gérées par les Français. »

Rien ne montre qu’il ait existé un « accord de défense » entre le Mali et la France dans les années 1960. Un tel accord semble improbable sous le régime de Modibo Keïta, réputé proche du bloc soviétique dans le contexte de la guerre froide. C’est plutôt avec les pays de l’Est que le pouvoir de Bamako aurait signé des accords de défense. « Soucieux d’effacer toute trace de l’armée française, Modibo Keïta se tourne vers les pays de l’Est pour former et équiper l’armée nationale. Les clauses de ces accords ayant été tenues secrètes, l’ambassade de France à Bamako n’en a pas eu connaissance et les archives donnent peu de renseignements à ce sujet », écrit Manon Touron.

Mais la France a conclu des accords de défense secrets ou pas avec certains pays africains. En 2007, Le Nouvel Obs écrivait que « sept pays du ‘’champ’’ [ d’influence française] maintenaient alors en vigueur le cadre juridique défini entre 1959 et 1961 : accord spécial de défense avec le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire (plus une convention relative au maintien de l’ordre), le Gabon (plus convention maintien de l’ordre), le Sénégal, le Tchad (convention spéciale de maintien de l’ordre, secrète) et le Togo (accord de défense, secret). »

L’objectif de ces accords était « de donner les moyens à ces nouveaux Etats de former une armée capable de résister aux pressions de la guerre froide. Effectifs, formation et fourniture d’armes : tout est prévu. L’autre volet, secret, consiste à maintenir le lien de sujétion entre l’ex-puissance coloniale et ses ‘’amis’’ africains. Notamment en matière de ‘’maintien de l’ordre’’ », ajoute le même journal. Le Nouvel Obs explique que les clauses secrètes des accords secrets devaient permettre à la France de « pouvoir, en toutes circonstances, sauver le Président adoubé par l’Elysée. »

Ces accords secrets auraient-ils des clauses qui obligent les pays africains concernés à « s’allier avec la France en cas de guerre ou de crise mondiale », comme le prétend le supposé « accord n⁰11 » ? Difficile à dire. Les conflits en cours en Ukraine et à Gaza montrent en tous cas que les pays africains anciennement colonisés par la France ne suivent pas systematiquement la position de ce pays. La France, comme la majorité des pays européens et de l’OTAN, soutient ouvertement l’Ukraine contre la Russie. De leur côté, 24 pays africains sur 54 ont préféré en mars 2022 ne pas soutenir une résolution de l’ONU condamnant la Russie pour son agression de l’Ukraine, soit en s’abstenant, soit en ne participant pas aux votes. Et parmi ces pays, il y a des pays considérés comme proches de la France (Sénégal, Togo, Cameroun, Congo ou Madagascar), à côté des pays qui se sont ouvertement rapprochés de la Russie (Mali, Burkina Faso). Au Moyen-Orient, la France soutient Israël, alors que « globalement, les Africains soutiennent les Palestiniens ».

Franc CFA, une « servitude volontaire »

Le supposé « Accord n⁰8 » parle de « l’obligation d’utiliser le Franc CFA ». « Bien que ce système ne soit pas partagé par l’Union européenne, les colonies françaises sont contraintes à utiliser exclusivement le F CFA », avance l’auteur.

Pourtant, les experts ne parlent jamais d’une quelconque obligation d’utiliser le FCFA. Même l’un des plus grands critiques de cette monnaie, l’économiste togolais Kako Nubukpo, parle plutôt de servitude volontaire. « Le pouvoir de battre monnaie, c’est un pouvoir régalien. Il n’y a pas d’Etat sans capacité de battre monnaie. Ce qui se passe avec le Franc CFA, c’est la traduction concrète de ce que nous appelons dans l’ouvrage une servitude volontaire. Des Etats indépendants qui se sentent obligés de passer par un ministère d’un pays étranger, en l’occurrence le ministère français des finances pour garantir l’émission de leur monnaie », disait-il dans son interview sur TV5 Monde en décembre 2016.

Dans l’ « Accord n⁰ 2 », curieusement intitulé « la confiscation automatique des réserves financières nationales », il est dit que les banques de la zone CFA « sont obligées de garder 65 % de leurs réserves de change dans un compte d’opérations tenu par le Trésor français, ainsi que 20 % supplémentaire afin de couvrir « les risques financiers ». » Kako Nubukpo apporte une nuance à cette affirmation : « Lorsque vous émettez un Franc CFA, vous devez avoir dans les réserves détenues auprès du trésor à Paris 0,20 FCFA sous forme de devises. C’est ce que nous appelons le taux de couverture de l’émission monétaire. Donc il est de 20%. Et ce qui est surprenant, c’est que nous détenons à l’heure actuelle à peu près 80% de couverture de l’émission monétaire. Nous allons beaucoup plus loin que ce que l’assureur, en l’occurrence le trésor français, nous demande. ».

Concernant la raison pour laquelle le franc CFA est toujours imprimé en France, Tiémoko Meyliet Koné, alors gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), avait expliqué en octobre 2017, dans une interview avec le journaliste Alain Foka sur RFI, que les économies africaines n’ont pas les moyens de fabriquer eux-mêmes leur monnaie « parce que ça ne serait pas rentable ». « C’est une technologie qui est très chère, c’est une technologie qui évolue très vite, et puis c’est une technologie qui est très concurrencé par les faussaires », a-t-il ajouté.

La France a-t-elle obligé ses anciennes colonies à parler le français ?

C’est ce que prétend le supposé « Accord n⁰7». Si une telle obligation existait en ce qui concerne le Mali, elle se trouverait vraisemblablement dans l’« Accord de coopération culturelle » signé entre le Mali et la France le 2 février 1962 ou dans l’un de ses protocoles. Or, il n’en est rien. Ce dernier accord vise à « promouvoir la coopération de la France et du Mali dans le domaine de l’éducation, de la science et de la culture ». La partie française s’engage notamment, dans la mesure du possible, à « mettre à la disposition du Gouvernement de la République du Mali, sur la demande de celui-ci, le personnel français qualifié nécessaire aux besoins de l’enseignement, de la recherche, de la culture, de l’éducation physique et des sports. »

Si la France a « imposé » le français comme principale langue dans les pays africains, elle l’a fait pendant la colonisation. Dans le livre Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie (Editions Publisud, 1999), l’universitaire camerounais George Echu, analysant l’évolution du français au Cameroun, note qu’un arrêt du Gouverneur général du 28 décembre 1920 interdit l’enseignement en langues locales : « Aucune école ne sera autorisée si l’enseignement n’y est donné en français. L’enseignement de toute autre langue est interdit. »

Pourquoi alors beaucoup de pays africains n’ont-ils pas adopté les langues africaines après les indépendances ? George Echu donne encore une réponse : « Lorsque le Cameroun accède à l’indépendance, tout était plus ou moins francisé. Le français était non seulement présent à l’école, mais aussi dans l’administration et bien d’autres domaines. Cette situation a favorisé son choix comme langue officielle le 1er janvier 1960 ». C’est sans doute dans les mêmes conditions que le Mali a adopté le français comme langue officielle et dans d’autres pays africains.

Aussi, les élites africaines ont préféré la langue du colonisateur « pour souci majeur de préserver l’unité nationale face à la multiplicité des langues nationales, jugées susceptibles de provoquer la déstabilisation du système politique. », conclu George Echu. Même le Rwanda, une ancienne colonie belge, qui s’est débarrassé du français après le génocide de 1994, l’a  a remplacé par l’anglais. C’est aussi peut-être parce que, comme le dit l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, « le français est devenu une langue africaine comme l’anglais, comme peut-être dans l’avenir le mandarin ».

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