
Sous couvert d’un projet de construction de routes, une entreprise a tenté de duper les autorités communales et administratives de Bafoulabé et des habitants de certaines localités de la région de Kayes. Un système bien huilé, porté par des individus aux identités floues et aux méthodes douteuses.
Fin avril 2025. Tout commence avec l’annonce d’un projet de construction d’une route reliant Kita à Bafoulabé via Toukoto, dans la région de Kayes. Plus de 200 kilomètres d’asphalte, dont la construction coûterait environ 200 milliards de francs CFA, financés selon les initiateurs du projet par une banque canadienne. Le marché devrait être exécuté par une entreprise dénommée Société internationale tout travaux (SITT). A sa tête, un certain M. Coulibaly, qui se fait appeler « Keïta » sur le terrain, selon les explications données par la préfecture et la mairie de Bafoulabé.
Le samedi 26 avril 2025, à son arrivée à Bafoulabé, l’équipe de ladite société est accueillie par le maire adjoint, Cheickna Sissoko. « Ils sont venus la nuit, je les ai reçus chez moi, même si j’avais des doutes. J’ai rappelé qu’en 2023 un faux type avait essayé de nous arnaquer avec une proposition pareille », explique Sissoko. « Le lendemain matin, je suis venu tôt, comme de coutume, saluer ce grand projet qui veut faire une route dans ma commune. Je trouve que le coordinateur, M. Keïta, est sorti depuis 6h, parti à Mahina, un village près de Bafoulabé. Pendant cette mission, il se faisait quand même appeler ici Keïta. Il apprend par téléphone que le maire adjoint l’attend ; il n’est jamais revenu et j’avais déjà compris. »
Très vite, l’équipe quitte Bafoulabé pour Mahina. M. Coulibaly évite tout contact avec les autorités locales. Ses propres collaborateurs ignorent pourquoi leur « chef » évite systématiquement les réunions officielles.
Comme un mirage
L’équipe se rend à la préfecture le lundi, sans M. Keïta. Cette fois-ci, un certain Mamadou Haïdara en prend la tête. Ce sont de jeunes gens, présentés comme ingénieurs de la SITT et représentants d’une fondation appelée « Fondation d’aide en Afrique », qui s’alignent devant le préfet. « Ils sont venus de la part d’un certain M. Keïta avec qui j’ai échangé avant leur arrivée. Sur les ordres de mission présentés pourtant [dont Benbere a reçu copies], le « chef », c’est Haïdara et il n’y avait ni Keïta ni Coulibaly », détaille Siaka Sanoko, le préfet du cercle de Bafoulabé.
A la préfecture, ils se présentent : l’un représente le BCI (Bureau central des ingénieurs), un autre la FAA (Fondation d’aide en Afrique), et le projet serait piloté par un groupe se réclamant de la SITT. Le préfet suspend immédiatement toute discussion et contacte la subdivision des routes du cercle. À son arrivée, le responsable est stupéfait : cette mission de construction d’une route à deux cents milliards n’est connue ni de la Direction nationale des routes, ni de la Direction régionale, encore moins de sa subdivision. Le préfet demande alors à voir la convention qui les lie à l’État, sans succès.
La rencontre prend fin sur ces mots fermes du préfet :
« Tant que les autorités compétentes ne sont pas associées, si vous partez sur le terrain, j’envoie les éléments vous interpeller. » Des témoignages d’employés de la mission révèlent une équipe composite, constituée de personnes qui se connaissent à peine. Ils ont été recrutés par le « coordinateur », M. Coulibaly, qui se fait passer pour « Keïta » au téléphone, absent de toutes les rencontres.
Celui qui s’est présenté comme représentant du bureau des ingénieurs est, nous confirme-t-il lui-même, en réalité transitaire de formation. Le représentant de la vraie-fausse fondation est ami avec le coordinateur, sans emploi. Celui de la SITT un simple technicien de BTP et le chef de mission Mamadou Haïdara est un ancien agent d’un service technique du secteur privé. Le comptable est un agent de santé, qui a démissionné pour rejoindre ce projet qu’il considère maintenant comme un mirage. Deux jeunes filles, à peine sorties de l’enseignement secondaire, faisaient office d’assistantes, sans vraiment connaître l’objectif de leur mission. Détail encore plus intrigant : aucune de ces structures n’a de présence sur Internet ou sur les réseaux sociaux, encore moins un numéro d’identification fiscale, selon le comptable.
Placé en garde à vue
Pourtant, c’est M. Coulibaly qui a planifié toutes les rencontres avec les autorités par téléphone, comme l’a expliqué le préfet. Au bout du fil, il répond à l’identité d’un certain M. Keïta basé à Bamako, alors qu’il est sur le terrain avec les employés dans le cercle de Bafoulabé.
Aux dires du préfet, en 2023, un certain M. Coulibaly était venu avec le même projet, qui fut un vrai coup de bluff. « Si je n’avais pas ordonné aux gardiens de le sauver des mains de la population, elle allait le lyncher », affirme le chef de l’exécutif du cercle.
Après recoupements, le coordinateur absent est en réalité un certain M. Coulibaly, mais qui se fait appeler « Keïta ». On compare le numéro du M. Keïta qui échange avec le préfet depuis Bamako à celui M. Coulibaly reçu d’un de ses collaborateurs : c’est identique.
La mission est bloquée dans cette première localité de Bafoulabé. Le préfet exige une autorisation de la Direction nationale des routes, passant par la direction régionale et la subdivision. Les membres de l’équipe affirment avoir envoyé quelqu’un à Bamako pour déposer le courrier à la Direction nationale des routes, « sans succès ».
L’objectif de cette dernière mission : aller à la rencontre des habitants, leur proposer un projet qui nécessiterait leur contribution à travers la diaspora. La mission refoulée de Bafoulabé est accueillie chaleureusement dans huit villages soninké dans la région de Kayes, précisément à Koussanè juste après l’échec de la mission de Bafoulabé. « La fondation a recensé les difficultés et les besoins de la population et la SITT a fait ses études pour la construction de l’infrastructure prévue, et c’était encore de l’arnaque », a raconté un membre de l’équipe qui a accepté de témoigner après sa démission.
Au retour de la mission, tous les collaborateurs se plaignaient de M. Coulibaly. Le comptable confie : « Coulibaly nous a arnaqués à Koussanè et nous sommes même à sa recherche encore. On s’était rassemblés pour l’arrêter, mais il avait promis de nous payer et après il a fui. Il nous doit une somme d’un million cinq cent mille francs CFA ».
Il se trouve également que Mamadou Haïdara, qu’il avait désigné comme « chef de mission » sur papier, était seul responsable devant la boite de location de véhicules pour la mission – il avait signé le contrat de bail. Ce dernier avait été placé en garde à vue dans un commissariat de police de la capitale, Bamako, puis libéré après que sa famille a payé le reliquat de l’entreprise. « C’était après une plainte de l’entreprise de location de véhicules. Coulibaly leur devait neuf cent mille francs pour la location des véhicules. Il a fallu l’intervention de mon grand frère pour payer », raconte Haïdara.
Un arnaqueur
On découvre que M. Coulibaly n’en est pas à sa première expérience. Un journaliste ayant travaillé avec le même M. Coulibaly confirme. « En 2023, j’ai eu à faire un reportage sur son projet, qui fut un fiasco », a expliqué le journaliste. Un fiasco ? Le journaliste préfère ne pas en dire plus. « Tout ce que je sais, ce gars est un gros menteur et avait juste besoin de notre reportage et après il a disparu »
Dans ce reportage de 5 minutes 28 secondes disponible sur Facebook, il était question de la construction de 54 kilomètres de route, sur l’axe reliant la commune de Dialakorodji, Safo et Nonssombougou. M. Coulibaly dirigeait un groupe appelé « Waleya ». Il a déclaré dans son intervention que son entreprise va réaménager 4 kilomètres dans un premier temps et entamer ensuite la construction entière de l’axe en collaboration avec l’État. Il affirme, dans le même reportage, que le financement des travaux, qui coûteront 27 milliards de francs CFA, était déjà mobilisé par ses bailleurs.
Nous nous sommes informés auprès de la commission route de la mairie de Djalakorodji – celle-ci affirme n’avoir jamais eu de contact avec le nommé M. Coulibaly. Le ministère des Transports et des Infrastructures affirme n’avoir aucune connaissance de cet individu et de ses sociétés depuis tout ce temps.
Contacté par téléphone, M. Coulibaly n’a jamais réagi. Après qu’on s’est présenté comme journaliste dans sa boîte de messagerie WhatsApp, en lui expliquant pourquoi nous souhaiterions échanger avec lui, il a rappelé avec un autre numéro. « Je ne suis pas trop dans ces choses, je ne me reproche rien et je n’ai pas une affaire avec qui que ce soit », a-t-il répondu. « Tout ce que je peux dire, ce gars est un arnaqueur et il n’en était pas à sa première fois à Bafoulabé », conclut Cheickna Sissoko, premier adjoint au maire de Bafoulabé.