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Lassine Niangaly : au Sahel, « la désinformation exacerbe les tensions et fragilise les régimes »
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Dans un entretien avec « Benbere », Lassine Niangaly, journaliste spécialisé dans la vérification des faits, cofondateur du Jalon, revient sur les spécificités de la désinformation au Sahel, son impact sur les communautés et les efforts menés pour limiter ses conséquences.

Quelles sont, selon vous, les spécificités de la désinformation dans le contexte sahélien, marqué par une agrégation des crises ?

Nous vivons dans une société marquée par la culture de l’oralité. Cela explique, en partie, pourquoi de nombreuses fausses informations circulent largement à travers les groupes WhatsApp. La désinformation exacerbe les tensions et fragilise les régimes. La nature de ces fausses informations est souvent liée à des incitations à la haine, en particulier sur des bases communautaires. Ces contenus cherchent à opposer certaines communautés à d’autres, attisant ainsi les tensions.

Une autre spécificité que l’on observe fréquemment est l’existence de guerres d’influence. Ces opérations visent à déstabiliser certains régimes, en particulier dans le cadre des coups d’État survenus au Sahel. Dans certains pays, des campagnes d’influence ont été menées sur les plateformes numériques pour discréditer les régimes en place avant même que les coups d’État ne soient consommés. Bien que je ne puisse pas affirmer que cela a été le cas au Mali, des exemples documentés existent au Burkina Faso.

Pouvez-vous citer des cas où ces fausses informations ont exacerbé des conflits dans le Sahel ?

Dans les régions de Mopti et Ségou, les conflits impliquent souvent des groupes se réclamant de l’autodéfense. Dans ces situations, les fausses informations ont exacerbé les conflits entre communautés. À Ségou, des agriculteurs sont souvent opposés aux éleveurs. À Mopti, on retrouve le même schéma. Des attaques de villages sont parfois décrites comme des violences ethniques, opposant Peuls et Dogons, ce qui alimente les tensions. Ces récits, repris par certains médias, véhiculent des clichés qui aggravent les conflits. De plus, les groupes djihadistes sont souvent associés à la communauté peule, ce qui renforce la stigmatisation. Certains médias utilisent un vocabulaire qui marginalise ces communautés et complique la résolution des crises.

Quels sont les principaux défis que rencontrent les journalistes dans leur lutte contre la désinformation ?

Les défis économiques constituent un obstacle majeur, car nos contenus sont entièrement gratuits. Nous devons souvent compter sur des partenaires pour nous soutenir dans ce travail. Un autre défi réside dans le fait que nous ne pouvons pas aborder tous les sujets. Le contexte socio-politique et la pression des pouvoirs publics imposent des limites, ce qui conduit souvent à une forme d’autocensure. Enfin, l’accès à certains outils sophistiqués pour vérifier des informations, comme les images, est une autre difficulté. Ces outils nécessitent des financements importants, sous forme de bourses ou d’investissements coûteux, ce qui les rend inaccessibles à de petits médias comme le nôtre. Globalement, ce sont là quelques-uns des défis que nous devons relever.

Les médias sociaux jouent un rôle central dans la propagation des fausses informations. Quelles solutions préconisez-vous ?

Les réseaux sociaux ont amplifié la diffusion des fausses informations, autrefois contrôlée par les journalistes. Aujourd’hui, chacun peut devenir producteur et diffuseur, ce qui complique le travail des professionnels.

Ces plateformes, conçues pour générer du profit manquent de responsabilité sociale face à la désinformation. Par exemple, Facebook a récemment mis fin à son engagement contre les fausses informations aux États-Unis, un coup dur pour les initiatives en la matière. En outre, leur modèle de monétisation incite certains créateurs à propager de fausses informations pour maximiser vues et revenus. Le profit reste leur priorité.

Comment sensibiliser efficacement les populations pour qu’elles résistent mieux aux campagnes de désinformation ?

Il est nécessaire d’amplifier davantage les initiatives d’éducation aux médias. Chez nous, cela doit se faire à toutes les échelles : dans les écoles, dans les grins, sur les marchés afin que le maximum de personnes puisse apprendre à distinguer une bonne information d’une mauvaise. Beaucoup consomment ces fausses informations, y compris des personnes éduquées, simplement parce qu’elles ne connaissent pas les critères permettant de reconnaître une information fiable. Il est donc crucial d’enseigner les critères qui définissent une bonne information, vérifiée et crédible, par opposition à une mauvaise information, non vérifiée et trompeuse.

Quelles perspectives voyez-vous pour la lutte contre la désinformation dans le Sahel ?

Depuis 2020, nous avons vu émerger de nouvelles initiatives et de plus en plus de journalistes et blogueurs s’impliquer dans la vérification des faits. Cela montre que les mentalités évoluent. À terme, une masse critique de citoyens connaîtra les mécanismes et les critères d’une information fiable. Cela réduira leur impact sur nos communautés.

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