Autrefois, les connaissances, en Afrique étaient transmises de génération en génération à l’oral au moyen des contes. Le conte était du nombre des mécanismes permettant de prévenir les conflits. Aujourd’hui, les conteurs sont de plus en plus rares, les contes de moins en moins écoutés et leurs impacts sur les relations interhumaines quasi insignifiants. Parmi ces figures, l’éminent Mahamane Tindirma de Tombouctou, une figure incontournable de la tradition orale sonrhaï qui n’est plus.
Plus qu’un conteur, Mahamane du village de Tindirma situé à 30 km de Diré, fut un fabuliste doublé d’un philosophe, un sociologue, un historien, un poète et enfin un humoriste hors-pair. Il a été pour la langue sonrhai ce qu’ont été à la fois Molière, Jean de la Fontaine, Rousseau et Victor Hugo pour la langue française.
Il a laissé derrière lui une œuvre riche constituée de plus de 100 contes dont 99 enregistrés sur bande audio de son vivant, le centième repris et enregistré par son fils après sa mort survenue en 1994 alors qu’il était âgé de 67 ans. Orateur exceptionnel et fin pédagogue, Mahamane Tindirma, plus que toute autre personne, savait trouver les mots justes, le ton approprié et le rythme qu’il faut pour captiver l’attention du public. C’est Mahamane Tindirma qui disait ne pas connaître plus mauvaise affaire qu’un divorce pour un homme : tu vas perdre ta femme, tout en nourrissant tes enfants qui vont prendre ton héritage pour l’amener dans la maison du mari de leur maman quand tu mourras.
Des contes pour éduquer
Le conte, chez lui, n’est pas seulement un récit à débiter, mais un cours de savoir vivre à dispenser. Il n’hésitait pas, pour se faire comprendre de ses auditeurs, à se mettre dans la peau des personnages, variant la voix au gré des circonstances. Les proverbes étaient illustrés par des exemples tirés de la vie de tous les jours. Ses contes sont des récits courts ou longs où peuvent se mêler l’imaginaire et le réel, le domaine de l’homme et celui de la bête, le comique et le dramatique. Il invitait à accepter les différences, à magnifier la diversité, à exprimer ou à contenir des émotions, à défendre les femmes et les enfants et à être bienveillant avec les étrangers.
Les héros de ses contes, outre les animaux, étaient choisis parmi les nombreuses communautés qui se côtoient sur le territoire malien. Ils sont peuls (Samba Diam Werdy, Boubou Ardo Galo), songhaï (les trois frères partis faire fortune) touaregs (la bataille de Toya), mossis (Djibo), bozos (Makabote), bambaras (Tiemogo Diarra, Tenin), dogons (Origine du cousinage à plaisanterie entre dogons et sonrhai)…
Des contes pour mieux se connaître
Les récits se déroulent à Toya (Sékou Ahmadou et les touaregs), à Bandiagara (Oumar well Samba dodo), au Macina ou à Hamdallahi (Sekou Ahmadou), à Douentza et à Djibo (Hammadou Moussa koulla Djibo), au Fouta (Cheikou Oumarou). Ici, le conte vient souvent à la rescousse de l’histoire du Mali : les grands empires, les célèbres royaumes, l’arrivée des Marocains, celle des occidentaux, tout passait au peigne fin.
Les us et les coutumes de toutes ces communautés sont décrites dans les moindres détails. Les alliances, les pactes et les mariages entre elles sont relatés avec dextérité. Il raconte par exemple que les Peuls, les Touaregs, les Maures, descendraient de trois frères bergers qui se seraient perdus de vue alors qu’ils faisaient paître leurs troupeaux. Il donne même des explications qui frôlent le surnaturel et l’irrationnel sur les faits historiques qui seraient à l’origine du cousinage à plaisanterie entre certaines communautés du pays.
L’œuvre de Mahamane Tindirma donne des renseignements sur presque toutes les communautés qui vivent au Mali, les histoires multiséculaires qui les lient, les choses permises et les interdits chez les unes comme chez les autres. Des informations qui permettent aux uns de connaître et d’estimer les autres et à tous de se respecter.
Très bel article.
Mahamane Tindirma de son vivant était vraiment un éducateur hors paire. Avec lui, que de l’éducation, que de la formation et de l’information. Merci à Toi mon cher de nous renvoyer vers ce grand intellectuel.