Le belle’idje fait partie des vestiges historiques de Tombouctou. Aujourd’hui, la danse traditionnelle est en voie de disparution. Il doit être classé dans l’inventaire du patrimoine culturel immateriel.
Tombouctou est un reservoir culturel. La « cité mystérieuse », mondialement connue pour son patrimoine matériel et immateriel, notamment ses mosquées et mausolées, est aussi reputée pour une danse qui a resisté au temps : le « belle’idjé ». La mémoire locale ratache cette danse à la civilisation arabo-berbère.
En effet, on la retrouve au Maroc, en Mauritanie et dans d’autres villes maliennes comme Nioro du Sahel (Kayes) et Nara (Koulikoro). À Tombouctou, elle est plus dansée dans le quartier d’Abaradjou, abritant une importante population maure et arabe.
Suivant le fructueux processus de croisement culturel, cette danse a fini par être un vecteur d’intégration et d’expression de la richesse du patrimoine immatériel de Tombouctou. La preuve est faite par sa reconnaissance par les differentes communautés de la ville au point d’en faire le ciment culturel consolidant la cohésion dans le quartier d’Abaradjou. C’est pourquoi, lors des compétitions culturelles interquartiers, le belle’idjé présenté par Abaradjou est regulièrement primé.
Le belle’idjé est accompagné par le son d’un tambour spécifique et des battements de mains. Pour galvaniser les danseurs ou augmenter la tonalité de la musique, les femmes aspergent constamment le tambour d’eau apportée pour la circonstance. Elles forment un cercle où les danseurs viennent s’exécutent par rotation.
Une danse sacrée
Les danseurs sont généralement habillés en grand boubou et encourager par le public. Les hanches bien serées, ils se précipitent dans le cercle tout en dansant fièrement du pied. On assiste à des sauts et cris répétés ajustés à la chaleur musicale, ce qui fait retentir le son sur les autres quartiers dont les jeunes seduits par le rytme s’invitent à la fête.
Le belle’idjé recouvre une dimension sociale très significative à Abaradjou. Elle est jouée lors d’événements de haute portée religieuse. Ainsi, lorsqu’un jeune parvient à terminer la rétention mémorielle du Coran ou de la moitié des versets chez un marabout, sa famille invite les proches et les voisins à venir célébrer l’événement marquant la maturité intellectuelle de leur fils autour du belle’idjé. C’est dire combien est-elle sacrée tant les populations se l’ont appropriée. Par ailleurs, on la danse aussi pour fêter le port du turban de jeunes garçons en âge de fonder une famille ou lorsqu’une jeune fille vierge se marie.
Mais la plus grande cérémonie de danse du belle’idjé a lieu après le retour des mineurs de Taoudeni, fatigués par des mois de travaux harassants dans un environnement hostile où seule la force physique détermine la valeur des individus. Pour oublier ces moments de labeur, il faut organiser un cadre associatif permettant de retrouver les réjouissances de la ville. Le recours au belle’idjé devient indispensable, car pouvant rassembler des centaines de gens. Les mineurs sont d’excellents danseurs et savent esquisser des pas spécifiques reflétant l’endurance et la ténacité. Au milieu du cercle servant de tribune, les mineurs peuvent soulever une brime de poussière pour magnifier leurs hauteurs, ce qui fait naitre une concurrence entre eux.
Absence de programme de valorisation
A ce jour, cette danse est de moins en mois jouée à Abaradjou du fait de la diffusion des musiques étrangères influençant la jeunesse et susceptible de conduire à sa disparition. « C’est regrettable, les jeunes sont complexés de danser le belle’idjé même lors de nos mariages ou de port du turban », regrette un sexagénaire d’Abaradjou.
Ce qui est plus consternant, c’est que les structures de sauvegarde culturelle n’ont pas de programme de valorisation et de sauvegarde des biens immatériels de Tombouctou. « Nous n’avons pas de projets sur le patrimoine immatériel à ce jour», affirme Albouhari Ben Esseyouti, chef de la mission culturelle de Tombouctou.
Le patrimoine immatériel participe de la richesse culturelle de Tombouctou. Il sied d’innover des stratégies permettant la sauvegarde et la valorisation du belle’idjé afin de permettre une bonne diffusion du corpus artistique qui fonde l’âme de Tombouctou. Pour ce faire, l’État doit le classer dans l’inventaire du patrimoine national immatériel.