Il faudrait miser sur une approche d’autonomisation économique, politique et sociale des communautés subissant la pratique de l’esclavage par ascendance pour une lutte efficace.
De plus en plus, des voix s’élèvent pour réclamer une loi spéciale criminalisant la pratique de l’esclavage par ascendance. Mais, à mon avis, la législation seule ne suffira pas. Il faudrait une réelle volonté politique pour en finir avec cette pratique.
Le Niger et la Mauritanie (qui a aboli l’esclavage en 1981), pour ne citer que ces voisins avec lesquels nous avons en commun cet encombrant passif, ont adopté des lois criminalisant l’esclavage. Dans la pratique, des associations et organisations de lutte contre l’esclavage dont Anti-Slavery International, l’ONG britannique en croisade contre l’esclave depuis le XXIe siècle, notent très peu de progrès.
200 000 personnes concernées par l’esclavage par ascendance au Mali
Dans son rapport d’étude Difficile passage vers la liberté, l’ASI se félicite des acquis réalisés au cours des dix dernières années, tout en fustigeant le manque de volonté politique quant à l’application rigoureuse des législations en vigueur. Selon les données de l’organisation malienne Temedt, le nombre de personnes en situation d’esclavage dans le pays est estimée à 200 000. 40 000 sont touchées par les formes les plus extrêmes de la pratique, d’après les mêmes sources.
Aussi, assez souvent, les dignitaires de l’ancien ordre sont de connivence avec l’administration publique, qui recrute essentiellement en leur sein ses représentants, et leur procure les leviers politiques et économiques nécessaires au maintien du système. Dans cette collision, il est peu probable qu’une loi seule suffise à « affranchir » et protéger de la « prédation », quelle que soit la bonne volonté des magistrats.
Une loi d’émancipation
Ce qui, par contre, pourrait faire avancer la cause anti-esclavage, c’est peut-être une approche d’autonomisation économique et politique des communautés subissant la pratique. Les défenseurs des droits humains, l’Organisation des Nations unies et les organisations régionales voire au-delà devraient initier un lobbying au niveau des États pour codifier l’émancipation économique, sociale et politique de ceux qui ont le statut de « jon ».
Pour le cas du Mali, une loi expresse à l’exemple de celle sur la prise en compte du genre dans les postes nominatifs et électifs qui donne des résultats encourageants, pourrait changer la donne à long terme. À travers un quota de représentativité pour les groupes minoritaires ou marginalisés, au niveau communal, régional et national pour faire entendre leurs voix et prendre en compte leurs préoccupations.
Spoliation de ressources
Aussi, des programmes d’autonomisation économique devraient être envisagés au profit exclusif des personnes ayant le statut de « jon » pour assurer leur indépendance économique et les soustraire de la précarité et du risque de retomber dans la dépendance des « anciens maîtres ».
La dimension économique est au cœur de la question de l’esclavage par ascendance, notamment dans la région de Kayes. Les contestateurs de l’ordre social inégalitaire sont constamment victimes de représailles, le plus souvent de spoliation de ressources agropastorales.
En plus de ces pistes, il faudrait prendre à bras le corps le foncier local et instaurer un cadre de dialogue et de sensibilisation permanent entre les communautés des « anciens maîtres » et « anciens esclaves ». Amener les acteurs à un rééquilibrage des configurations politiques et sociales à la lumière de l’histoire républicaine et en conformité avec les lois en vigueur.