Pour la chercheuse et enseignante Aïssata Ba, nous accusons souvent les survivantes ou victimes de violence entre partenaires intimes de ne pas avoir quitté leur partenaire violent plus tôt. Toutes choses qui ne sont pas toujours faciles.
Au Mali, lorsqu’une femme se fait tuer par son partenaire, les plaintes et les indignations suivent. Femmes et hommes, ensemble nous dénonçons ces crimes. Pourtant, la plupart d’entre nous essaient de trouver des raisons pour justifier ces crimes ou toute forme de violence entre partenaires intimes (VPI). Ainsi, lorsqu’une femme se fait tuer par son partenaire, nous sommes divisés entre « les justificateurs » et les « indignés ». J’ai été dans les deux camps à un moment donné de ma vie.
Les propos les plus tristement fréquents à entendre sont : « Elle a dû faire quelque chose de vraiment mauvais », « Peut-être qu’elle le trompait ». Il y a aussi ceux qui demandent : « Pourquoi n’est-elle pas partie ? ». Cette dernière catégorie pense que si elle est tuée, c’est parce qu’elle est restée. Elle suppose surtout que si elle était partie – ce qui n’est toujours pas facile chez nous -, elle serait en vie. Une façon de blâmer la victime consciemment ou inconsciemment.
Mentalités toxiques
Ce groupe passe à côté d’un point important : nos sociétés encouragent les femmes à rester dans une relation violente pour la « baraka » de leurs enfants ou pour d’autres excuses similaires. De plus, nous priorisons, souvent, notre intérêt égoïste en blâmant celles qui osent divorcer, les accusant de faire honte à la famille. Ce sont justement ces attentes égoïstes qui poussent beaucoup de femmes à rester. Ce sont des mentalités toxiques qui tuent à petit feu la plupart des femmes dans une relation abusive.
Qu’en est-il de notre deuxième groupe, les indignés ? Ce sont des personnes qui blâment le mari, les parents des victimes ou le système (légal) qui a permis les abus. Le mari aussi pour ne pas avoir tenu sa parole de « protéger sa femme, celle qui lui a été donnée en mariage ». Ils reprochent aux parents d’avoir permis que leur enfant soit maltraitée, ou de l’avoir renvoyée chez son mari, sachant qu’il la maltraitait. Les indignés accusent également les parents d’avoir encouragé leur enfant à rester pour ses enfants. Ils accusent le système judiciaire de ne pas pouvoir trouver le meurtrier et de l’emprisonner, ou encore de ne pas protéger les femmes contre les abus qui débouchent sur le meurtre.
Normes patriarcales
Les indignés ressemblent un peu aux justificateurs compatissants, à la différence près que leur sentiment n’est pas la pitié mais la colère et la révolte. Ils sont poussés par la colère et révoltés par le meurtre d’une femme qu’ils n’accusent pas. Les indignés veulent que le système judiciaire poursuive et condamne le meurtrier à perpétuité. Par conséquent, ils se concentrent soit sur le tueur, soit sur nos sociétés. Certains proposeraient même de tuer le partenaire avec leurs propres mains. Les indignés, au moment du meurtre, veulent faire bouger les choses, faire un changement radical.
Ce que ces deux groupes peuvent avoir en commun : ils peuvent avoir, à un moment donné dans leur vie, soutenu des actions qui font partie du processus et qui peuvent conduire un homme à maltraiter et même à tuer sa partenaire. Souvent, nous défendons des normes sociales tels que les rôles sexués, les actions discriminatoires et les injustices, consciemment ou non, qui permettent constamment et progressivement à un homme d’abuser et de lui donner tous les droits sur la vie de sa femme. Nos normes patriarcales consacrées – celles que nous refusons de discuter – sont celles qui tuent progressivement beaucoup de femmes, physiquement ou mentalement.
Par conséquent, nous devrions cesser de blâmer les survivants ou les femmes tuées et commencer à réfléchir à nos actions et à la manière dont elles créent l’injustice. Nous devons parler et intervenir lorsque nous constatons la violence entre partenaires intimes, toute forme de violence ou d’injustice se produit. Mes pensées à Tenin, Kamissa, Mariam Diallo et Fanta Sekou Fofana. Vous êtes une raison suffisante pour nous de continuer à lutter contre la violence entre partenaires intimes et contre toute forme d’injustice et d’inégalité.