Dans la deuxième partie de ses réflexions sur le positionnement des partis politiques, à gauche ou à droite, Mamadou Sokona estime qu’il s’agit plus d’une attitude d’esprit.
« C’est quoi cette réflexion ? » a été une des réactions reçues sur le précédent article qui interrogeait la portée du clivage gauche/droite sur les comportements politiques. L’ argument de l’internaute selon lequel « il n’y a que rive droite et rive gauche, tout autre serait fantasme » reflète, à quelques caricatures près, le scepticisme de l’avocat Cheick Oumar Konaré pour qui, également, « il n’y a que la démocratie à l’occidentale ». Poursuivant, il met en garde les chercheurs africains à ne pas tomber dans « la reproduction idéologique » systématique d’un clivage idéologique qui « ne reflète aucune réalité ».
Jean Mfoulou, dans son introduction de Socialisme, démocratie et unité africaine, un recueil de textes politiques de Julius K. Nyerere, rapporte ce propos du « Mwalimu » (« instituteur ») et père de l’indépendance de la Tanzanie : « Le socialisme, comme la démocratie, n’est pas quelque chose d’étrange à l’Africain ; que celui-ci n’a pas plus besoin de Marx que de quelque autre doctrinaire d’Europe pour découvrir ce que signifie le socialisme : il suffit qu’il se tourne vers la vie sociale africaine traditionnelle… » Et dans sa conceptualisation du socialisme africain appelé « Ujamaa » ou « Esprit de famille », le « Mwalimu » souligne que « le socialisme comme la démocratie, est une attitude d’esprit ».
Gauche/droite et la question des valeurs
Devant une telle problématique, le réflexe est tout de suite académique : faire recours à la sociologie politique afin de repérer les expressions du pluralisme politique, les points de convergence ou de divergence entre les partis dans les offres politiques qu’ils proposent. Sauf qu’ici, nous n’avons ni le temps ni la patience. Mais, je soutiendrais que le clivage gauche/droite a existé, a du sens et est devenu une demande sociale pour la consolidation des identités partisanes et la cohérence dans les pratiques politiques.
Le Professeur Joseph Ki-Zerbo, après avoir posé le débat sur le clivage idéologique dans le système multipartisan en Afrique, a fourni quelques éléments de réflexion dans le livre-entretien A quand l’Afrique ? : « Pour l’Afrique, ce sont les valeurs permanentes liées à ces dénominations qui devraient servir de paramètres pour une identification-classification. D’un côté pour la droite, les principes d’ordre, de discipline, de sécurité, de hiérarchie, de nationalisme, de prévalence du privé sur l’Etat, de la propriété sur le travail etc. De l’autre côté, la priorité des travailleurs, de l’égalité sur la liberté, de l’internationalisme sur le nationalisme, des rapports de production sur la production, de l’économie de marché sur la société de marché. »
Dans les démocraties occidentales, derrière le clivage gauche/droite, il y a une histoire politique, celle des luttes sociales et économiques qui ont existé au sein de ces sociétés industrialisées. Si les citoyens ont de moins en moins d’ancrages idéologiques dans ces sociétés, pour autant, ils restent attachés à des valeurs liées au modèle de société que défendent la gauche et la droite traditionnelles ou que proposent la gauche radicale ou l’extrême droite.
Détour historique
Postuler qu’il n’y a pas de gauche et de droite au Mali est contestable. La tradition de gauche remonte à l’Union soudanaise–Rassemblement démocratique africain (US-RDA) avec « le socialisme scientifique » conceptualisé par le premier Président Modibo Keita (1960-1968). L’US-RDA, à travers sa domination hégémonique, a instauré un monopartisme de fait de 1957 à 1968. Ce parti de masse était très influent auprès des paysans et syndicalistes, contrairement au Parti progressiste soudanais (PSP), composé de cadres, qui monopolisa la représentation politique au Soudan de 1946 à 1956. Les idées du PSP trouvaient des échos chez des commerçants et dans les milieux conservateurs. Et son leader Fily Dabo Sissoko n’a cessé de rejeter le socialisme et le marxisme dans le contexte africain tout en optant pour le libéralisme sur le plan économique et le conservatisme sur le plan social et culturel.
Sous la dictature militaire de Moussa Traoré (1960-1991) s’instaura une fermeture politique : le parti unique de droit avec l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). Cependant, le libéralisme économique s’encra davantage notamment avec le programme d’ajustement structurel (PAS).
De 1992 à aujourd’hui, c’est la gauche qui est au pouvoir au Mali : Adéma-PASJ (1992-2002) ; Amadou Toumani Touré (de 2002 au putsch de 2012) ; et Rassemblement pour le Mali (RPM, de 2013 à aujourd’hui). Trois pouvoirs de gauche avec le choix d’un « libéralisme contrôlé », comme le confia un cadre de l’Adéma-PASJ. Ce fut ce tournant libéral qui précipita la première scission au sein de l’Adéma-PASJ, dès 1994, avec le départ du courant marxiste mené par Feu le Professeur Mamadou Lamine Traoré.
C’est une chose de dire -ce qui est vrai au Mali comme ailleurs- que les partis politiques, dans l’exercice du pouvoir, gouvernent à peine en fonction de leurs idéologies. Il en est une autre de nier la portée des idéologies, d’autant plus que dans le cas malien, nous n’avons pas connu jusqu’à présent la gestion du pouvoir d’État par un parti libéral comme l’Union pour république et la démocratie (URD) ou Yèlèma (« Changement »), ou de la gauche radicale comme Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI).
« Quelle que soit la couleur du chat, le plus important est qu’il attrape des souris »
De nouveaux acteurs politiques, qui ont émergé après la fin du premier mandat de ATT, sont partagés entre affirmation idéologique et réalisme politique. Pourtant, ils sentent le besoin de se construire une identité partisane bien distincte et de se démarquer avec des pratiques politiques cohérentes. Aussi la société, majoritairement jeune, est-elle à la recherche de partis politiques qui incarnent les valeurs de souverainisme, de panafricanisme, de nationalisme, de libéralisme, entre autres. Il ne s’agit pas d’opérer une reproduction idéologique, ce n’est pas pour rien que les présidents Modibo Keita et Julius K. Nyerere ont reconceptualisé le socialisme à partir des réalités endogènes. Toutefois, des partis politiques français et maliens peuvent partager certaines valeurs et se regrouper dans l’internationale libérale ou socialiste. Nous ne vivons pas en autarcie et nous avons une élite politique mondialisée.
A titre d’exemple, Moussa Mara, n’est pas à l’aise avec le clivage gauche/droite. Il voit la pertinence mais reste prudent par rapport au positionnement partisan. Tout de même, son parti revendique le libéralisme sur le plan économique et le conservatisme sur le plan social et culturel. Pour M. Mara, « son parti opte pour la doctrine de Deng Xiaoping. Quelle que soit la couleur du chat, le plus important c’est qu’il attrape les souris, c’est l’efficacité qui compte. »
Si pragmatisme et efficacité importent chez M. Mara, de l’autre côté de l’échiquier politique la couleur du chat importe pour Dr Oumar Mariko. Il est de gauche et considère SADI comme le parti des paysans et des syndicats. Il est clair que ses idées ont des échos auprès de ces groupes sociaux.
Les analystes confondent deux choses. Ils rejettent l’idée de gauche et de droite en l’analysant sous le prisme étroit et occidental. Il s’agit moins d’exiger un modèle de clivage que d’apprécier comment les partis et les professionnels de la politique construisent leurs identités et défendent leurs projets de société à partir des valeurs qu’ils incarnent et que la société exprime dans sa diversité. Le rejet de la démocratie est souvent motivé par la même incompréhension, la confusion entre le modèle et les principes. Ici entre clivage gauche/droite et « les valeurs permanentes liées à ces dénominations. »
Vous pouvez relire sur Benbere : [Tribune] Partis politiques : que vaut l’idée de gauche et de droite au Mali ? (1)