Au Mali, contre toute attente, Moussa Timbiné est élu Président de l’Assemblée nationale. Personnage controversé, certains se demandent s’il a le profil de l’emploi. Pour d’autres, son élection au perchoir cacherait des enjeux.
Un grand exploit que celui réussi par Moussa Timbiné, parvenu à se hisser au poste de président de l’Assemblée nationale, devenant ainsi la deuxième personnalité du pays. Pourtant, à la proclamation des résultats provisoires par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le jeudi 23 avril 2020, les carottes semblaient cuites pour Moussa Timbiné : la liste URD-Adéma-ADP est donnée gagnante du scrutin.
Une semaine plus tard, coup de théâtre à la Cour constitutionnelle : la liste RPM-APR remporte le scrutin avec 17 280 voix à la suite d’une requête introduite par le Rassemblement pour le Mali (RPM) pour annulation des opérations de vote dans certains bureaux en commune V du district de Bamako. Entre les résultats définitifs de la Cour et la candidature à la présidence de l’Assemblée nationale, il n’y avait qu’un pas que Moussa Timbiné a franchi, créant d’ailleurs un climat tendu au sein du parti du tisserand (RPM) dont il n’était même pas le candidat jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire le jour du vote.
Ancien premier vice-président de la législature écoulée, Moussa Timbiné était en lice face à Moussa Mara, président du parti Yèlèma (« Changement » en bamanakan), député élu en commune IV du district de Bamako et non moins ancien ministre et Premier ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta. Le président de la jeunesse du parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali (RPM), l’a emporté avec 134 voix contre 8 pour son challenger, le lundi 11 mai.
Un militant depuis l’université
Originaire de Bandiagara, dans la région de Mopti, le nouveau Président de l’Assemblée nationale, 46 ans, est marié et père de 5 enfants. Il est issu d’une famille modeste dont le père était instituteur de profession. Après son baccalauréat, option Sciences exactes au lycée Hamadoun Dicko de Sévaré, à Mopti, il entre à l’ex-Faculté des sciences et des techniques (FAST). Durant son passage sur la « colline du savoir » (appellation donnée à la colline de Badalabougou, siège de l’Université), il s’est fait remarquer pour son militantisme au sein de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), mouvement créé en 1990 par des étudiants dirigés par Oumar Mariko, ancien député de Kolondièba et leader du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI).
Personnage très controversé, certains, sous couvert d’anonymat, disent de lui il était à l’époque « vulgaire et violent ». En 2017, le chroniqueur Ras Bath avait repris à son compte les mêmes critiques et s’était avancé jusqu’à attaquer au vitriol celui qui était à l’époque premier vice-président de l’Assemblée nationale. Il a déclaré que M. Timbiné était un « homme immature, vaurien invétéré, incompétent et médiocre notoire. »
Même en étant premier vice-président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné n’est pas resté en marge des polémiques. Il s’en était pris aux internautes en 2017 en les traitant de « drogués », en référence, dit-il, « à ceux qui utilisent de façon négative les réseaux-sociaux ». il s’était défendu plus tard : « Je n’ai pas généralisé, les concernés se reconnaitront. Les réseaux sociaux doivent nous aider à avancer et non à nous diviser, le Mali n’a pas besoin de ça aujourd’hui ». Bien que M. Timbiné n’ait jamais cité de nom, beaucoup ont estimé que c’était une pique à destination du bouillant chroniqueur rastafari Ras Bath, qui défrayait la chronique bamakoise à travers notamment ses émissions à grande audience.
« Il a juste du caractère… »
D’autres, en revanche, affirment qu’il est loin de cette image assez négative qu’il traine derrière lui. Badara Aliou Sidibé et Ibrahima Tamega, dit « le A », deux anciens de l’AEEM qui continuent à le côtoyer, décrivent un personnage « franc et fidèle à ses idées, toujours prêt à les défendre jusqu’au bout ». « Ceux qui disent de Moussa Timbiné qu’il est violent ne le connaissent pas assez. Il a juste du caractère, la nuance est de taille », ajoute Ibrahima Tamega.
Pour Ballan Diakité, analyste politique, la fixation sur son passé de membre de l’AEEM joue énormément en défaveur de Moussa Timbiné. « Quand on parle de Moussa Timbiné, automatiquement le rapprochement est fait avec son passé de leader très controversé au sein de l’AEEM, syndicat étudiant qui n’est pas du tout apprécié pour les frasques indénombrables de certains de ses membres. Je crois que les gens ne doivent pas se focaliser sur ça », estime Ballan Diakité.
Fidèle au RPM
Au sein du Rassemblement pour le Mali (RPM), son militantisme ne date pas d’hier. En 2001, il faisait partie des membres fondateurs de ce parti politique, dissidence de l’Adéma-PASJ, qui l’a vu grandir. Auparavant cinquième adjoint au maire de la commune V du district de Bamako, il est à sa deuxième législature sous les couleurs du RPM dans la même circonscription.
En 2002, il soutenait, au sein du mouvement « Espoir 2002 », la candidature de l’actuel Président aux élections présidentielles. Très jeune, il a été nommé président de la jeunesse du parti, un poste qu’il occupe encore aujourd’hui.
Ibrehima Tamega dira que cette élection à la tête de l’Assemblée nationale est « le fruit d’une fidélité envers ses engagements et ses compagnons de lutte ». Avant d’ajouter : « Contrairement à beaucoup de jeunes, qui ne savent pas ce qu’ils veulent et qui changent de parti politique comme on change les vêtements, Moussa Timbiné est resté auprès du Président actuel depuis les premières heures du RPM. Même quand certains pensaient que le RPM était mort suite à sa première défaite aux élections présidentielles de 2002, Moussa Timbiné était là, toujours confiant. »
Un habitué de l’hémicycle
Son élection a fait beaucoup de bruit, notamment sur les réseaux sociaux. Des Maliens sont sceptiques et se demandent si Moussa Timbiné a le profil de l’emploi au regard du contexte délicat dans lequel se trouve le pays. « Pour ce qui est de ses capacités, le temps nous le dira. Nous le jugerons en fonction de son bilan. », fait remarquer Ballan Diakité.
Son ancien camarade de l’AEEM, Badara Aliou Sidibé, préfère rester confiant :
« De secrétaire parlementaire de l’Assemblé nationale à sa vice-présidence sous la cinquième législature, Moussa Timbiné, on peut le dire, est un habitué de l’hémicycle. Il l’a d’ailleurs présidé quelques fois quand Issaka Sidibé [président l’AN durant la législature écoulée, NDLR] était absent. La tâche est certes difficile mais je suis certain qu’il sera à la hauteur. »
Alors que son élection est saluée par certains comme une volonté du Président Keïta de « matérialiser sa promesse de dédier son mandat à la jeunesse malienne », des observateurs y ont vu d’autres enjeux. Dans son éditorial du vendredi 15 mai, dans le quotidien L’indépendant, Saouti Haïdara évoque l’implication personnelle d’IBK, en faisant fi des procédures de sélection établies au sein du parti, pour imposer Moussa Timbiné comme candidat du parti. « Le président, dont le parcours a été parsemé d’une kyrielle de scandales financiers, a besoin d’assurer ses arrières et, à cette fin, ne peut rien laisser au hasard. Ses relations avec ses camarades fondateurs du parti qui s’était donné pour credo de ‘’faire la politique autrement’’ ont été suffisamment cauteleuses pour lui garantir une succession tranquille. C’est à lui- même d’y veiller pour être sûr d’avoir ‘’une vie après le pouvoir’’», écrit-il.