Le contrôle de la mise en œuvre des mesures d’accompagnement ainsi que le contrôle de leur respect strict par les commerçants sont, à ce jour, le grand défi à relever pour une gestion efficace de l’instabilité des prix.
Depuis les premières semaines de la transition, les prix des produits de première nécessité connaissent une envolée spectaculaire : l’huile, la viande, la viande, le pain, etc. Tous ces produits ont connu récemment une augmentation de prix jugée inadmissible par de nombreux citoyens.
La question de la gestion de l’instabilité des prix ne cesse de revenir dans les débats politiques. Théoriquement, plusieurs facteurs peuvent provoquer une instabilité des prix dont, entre autres, la variabilité de l’offre ; l’augmentation de la demande ; l’évolution des modes de consommation. Ces facteurs multiples et divers peuvent parfois s’expliquer conjointement, ce qui rend complexe l’analyse d’une situation d’instabilité des prix.
Au Mali, on a cette fâcheuse tendance à attribuer tous nos problèmes au coup d’État du 18 août dernier ou, pire, à la pandémie de Covid-19. Sans pourtant être totalement erronés, ces arguments nous révèlent l’interdépendance et l’influence des facteurs endogènes et exogènes sur la fluctuation des prix sur le marché. Néanmoins, il est clair qu’en cas de forte augmentation des prix, les premiers à en souffrir sont les citoyens-consommateurs qui sont, dans leur écrasante majorité, dans une situation de pauvreté extrême.
Face à une situation pareille, il faut une intervention de la puissance publique. En tant que garant de l’intérêt général, l’État doit agir pour contenir la flambée des prix. Mais avec quels mécanismes et quels instruments politiques ? Là réside toute la problématique du sujet.
Débat historique sur la nécessité de l’intervention de l’État
La doctrine libérale part du postulat qu’il faut laisser le marché s’autoréguler, selon le principe très réputé de l’offre et de la demande. C’est surtout sur la base de cette doctrine que les institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale) ont eu à recommander aux États en voie de développement, dans les années 1980, les politiques d’ajustement structurel (PAS). Celles-ci avaient pour crédo la libéralisation du commerce et le développement des mécanismes privés de gestion des risques. Cependant, les imperfections du marché ainsi que le caractère informel du système économique de bon nombre de pays africains en développement ont imposé finalement la logique d’une intervention de l’État, dont le rôle est primordial dans la gestion de l’instabilité des prix.
L’évidence sur la nécessité de l’action publique en vue d’une maitrise optimale des prix n’est pas, en soi, suffisante pour stabiliser les prix. C’est surtout la manière dont les mesures étatiques vont être appliquées que dépendra la capacité de celles-ci à limiter l’instabilité des prix. En d’autres termes, au-delà des choix politiques, les conditions de définition et de mise en œuvre de ces politiques sont déterminantes pour leur succès et leur efficacité. Cela est tellement vrai que pour un pays à revenus faibles et à forts inégalités sociales, comme le Mali, l’État doit toujours et de manière permanente mettre en avant la recherche d’une solution concertée aux problèmes socioéconomiques avec les acteurs du secteur concerné.
Cette gestion concertée de l’État avec les principaux acteurs socioprofessionnels est importante au moins pour deux raisons. Premièrement, elle permet d’éviter un bras de fer entre le gouvernement et les groupes syndicaux. C’est le moyen de prévenir des situations de grève plus ou moins longue dont pourraient souffrir les citoyens. Deuxièmement, cette démarche est un moyen privilégié pour réduire les asymétries d’information entre l’État et ses partenaires privés que sont les opérateurs économiques. Pour ces derniers, l’intervention de l’État doit être prévisible, ce qui leur permet de se positionner sur le marché. Cependant, il faudra craindre dans cette approche un copinage entre les décideurs politiques et certains opérateurs économiques influents sur le dos d’autres partenaires moins influents, et au détriment de l’intérêt général. Les mesures ainsi adoptées ont plus de chance d’aboutir à des résultats satisfaisants pour toutes les parties, y compris les citoyens-consommateurs.
Les instruments politiques de gestion de l’instabilité des prix
L’État malien dispose d’énormes instruments politiques pour agir sur les prix des produits de consommation de première nécessité. Théoriquement, ces instruments politiques peuvent être classés en deux grandes catégories : les mesures aux frontières et les mesures sur le marché. D’abord, les mesures aux frontières visent à ajuster l’offre et la demande sur le territoire par un contrôle des importations et des exportations. A ce titre, ces mesures comportent, entre autres, des instruments de politique économique tels que les droits douaniers, les quotas, les licences, les importations et exportations publiques. Ensuite, les mesures dites sur le marché correspondent à la gestion des stocks tampons ou à des systèmes de subvention ou de taxation des prix des produits.
L’État malien a recours traditionnellement aux droits de douane à travers un contrôle des importations aux frontières. En outre, le Mali a recours aussi au contrôle des exportations et à la gestion des stocks publics tampons. L’ensemble de ces instruments de politique économique visent à limiter l’instabilité des prix sur le marché intérieur. D’ailleurs, depuis 2004, conformément à l’esprit du cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, un Commissariat à la sécurité alimentaire, directement rattaché à la présidence, a été créé.
L’efficacité de l’ensemble de ces instruments doit être appréciée à l’aune de la capacité de ces politiques à réduire l’instabilité des prix. Or, depuis une dizaine d’années, les prix des céréales et des denrées de première nécessité ne cessent de grimper en dépit de l’exonération de droits de douane sur les importations de céréales. Malgré que l’on soit un pays d’agriculture avec d’énormes potentiels agricoles, comme l’Office du Niger, le prix du sac de riz ne cesse d’augmenter d’année en année.
Aujourd’hui, le sac de riz parfumé « Gambiyaka » est vendu dans certaines boutiques à Bamako à 20.000 francs CFA contre 19.000 francs CFA il y a juste une année. Le kilo de la viande est en train d’être vendu à ce jour à 3.000 francs CFA contre 2.200 francs CFA il y a juste six mois. Le constat est le même pour l’huile ; la farine, etc. C’est dire autrement que les politiques de gestion de l’instabilité des prix au Mali n’ont eu qu’un effet limité. Le bilan est donc mitigé au regard de l’évolution récente et spectaculaire des prix. L’échec des politiques de gestion des prix à pour cause principale, pour le cas du Mali, l’incapacité des pouvoirs publics à assurer une application effective des mesures atténuantes des prix sur l’ensemble de l’étendue du territoire national. Le contrôle de la mise en œuvre des mesures d’accompagnement ainsi que le contrôle de leur respect strict par les commerçants sont, à ce jour, le grand défi à relever pour une gestion efficace de l’instabilité des prix. C’est ainsi que le prix du « petit » pain est redescendu à 100 francs CFA pendant que certaines boulangeries ont continué à le vendre à 125 francs CFA pendant près de trois semaines après. Cela ne peut s’expliquer que par un déficit criard de contrôle des prix par les autorités publiques !
Ballan Diakité est chercheur en sciences politiques.