Mali : face au drame de l’abandon des enfants, promouvoir l’adoption
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Mali : face au drame de l’abandon des enfants, promouvoir l’adoption

L’adoption est une pratique très complexe au Mali. Face à la pression sociale, l’abandon des enfants continue mais leur adoption peine à passer. 

Sitan, aide-ménagère, est à son deuxième séjour dans la capitale, Bamako. Fiancée à un jeune de son village, elle est tombée enceinte d’un conducteur de Sotrama dans un quartier populaire de la capitale. « Lorsqu’une fille de notre village contracte une grossesse à Bamako, elle sait d’avance ce qui l’attend, raconte Sitan. Elle a donc le choix entre renoncer à la famille pour garder son enfant, avorter si elle en a l’envie et les moyens, ou bien accoucher et abandonner l’enfant. »

La jeune fille a donc décidé de déposer son bébé, tard dans la nuit, près d’une mosquée avant de retourner au village. Gorge serrée, elle avoue avoir des regrets mais soutient mordicus qu’aucun autre choix ne s’offrait à elle. Reste que ce cas est loin d’être isolé. Les abandons d’enfants sont principalement dus aux pressions sociales et culturelles. Les enfants dans les pouponnières sont ceux des aides ménagères qui se retrouvent enceintes dans les grandes villes ; les enfants incestueux ; ceux de femmes qui tombent enceinte en l’absence de leur mari et les enfants dont la mère est atteinte de trouble mental. Dans ce dernier cas, l’enfant est considéré comme étant en danger et l’État a le devoir de s’en occuper, de le protéger.

« Par filiation » ou « par protection »

Selon les chiffres fournis par le directeur du Centre d’accueil et de placement familial, appelé « pouponnière », Adama Dembélé, « à ce jour le centre compte 137 enfants dont une soixantaine vivant avec un handicap et 70 assistantes maternelles pour s’occuper d’eux ». Les enfants les plus réclamés pour adoption sont les nourrissons, et cela s’explique encore par les pesanteurs socioculturelles. Par contre, ceux vivant avec handicap restent à la pouponnière car personne ne les adopte, ajoute Dembélé.  Il précise « qu’aucun enfant n’est donné en adoption au Mali avant ses trois mois dans le centre et l’adoption est totalement gratuite ».

Mme Dembélé Jeanne Fatimata Djoni, cheffe de la division promotion de la famille à la direction nationale de la femme, de l’enfant et de la famille, indique qu’en cas «  d’adoption par filiation, l’enfant a les mêmes droits que ceux biologiques, porte ton nom et peut également hériter de tes biens. Par contre, dans le cas de l’adoption par protection, l’enfant ne change pas d’identité et il ne pourra non plus hériter, sauf s’il reçoit des avantages de ton vivant ». Elle ajoute : « C’est seulement lorsque l’enfant n’a pas d’attache familiale, qu’il est purement abandonné qu’il peut être donné en adoption par filiation. Les conditions sont l’absence d’enfant biologique, la stérilité d’un des parents adoptifs ou une maladie génétique qui empêche d’avoir des enfants. »

Il faut aussi noter que l’adoption par filiation est irrévocable dès que la décision est prononcée au tribunal. Par contre, la protection est révocable car les parents biologiques peuvent revenir sur leur décision à tout moment. « De 2018 à 2022, nous avons enregistré au total 208 adoptions par filiation au niveau de la direction. », fait remarquer Djoni. Dans certains cas, ces enfants ne sont pas acceptés.

Rejet

« J’ai divorcé afin de pouvoir garder mon enfant. » La quarantaine révolue, Diahara Cissé vit actuellement à Bamako après avoir quitté son mari en raison des harcèlements qu’elle subissait de la part de sa belle-famille et de sa coépouse. « Après neuf ans de mariage sans pouvoir tomber enceinte, j’ai convaincu mon mari de considérer l’option de l’adoption, et il a accepté ».

Ce fut le début de son calvaire. Pendant six ans, l’enfant adopté a été victime de rejet. La belle-famille de Cissé ne manquait aucune occasion de lui rappeler sa stérilité. Après plusieurs réunions de famille et de multiples médiations, elle a jugé bon de divorcer pour protéger l’enfant.

Est-ce surprenant ? « Non », répond Sékou Tounkara, membre du Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement (RECOTADE). Ce dernier explique que le recours à l’adoption pour certaines femmes vise souvent à échapper au jugement de la société, qui a du mal à tolérer une épouse stérile. Mais il faut avoir un mental d’acier pour ne pas tout abandonner. Les pesanteurs socioculturelles font que les couples ont peur d’aller vers l’adoption moderne. « L’enfant ne sera pas accepté dans la famille, poursuit-il, surtout lorsqu’il y a d’autres enfants biologiques sous ce toit. Dans notre culture, la meilleure option était d’élever l’enfant d’un parent proche, mais cette pratique a montré ses limites avec le temps. »

Adopter un enfant, c’est faire preuve de bienfaisance, lui offrir la chance de grandir dans un cadre familial et affectif sans oublier la satisfaction personnelle des parents adoptifs eux-mêmes du fait d’avoir l’enfant tant souhaité dans leur couple ou en solo. Cultivons la tolérance face à cette pratique à défaut de pouvoir éradiquer l’abandon d’enfant. « A la veille des fêtes, il faut être tenace pour ne pas craquer face aux larmes des enfants du centre qui supplient les personnels de les amener chez eux pour célébrer dans un cadre familial », déplore Dembélé, directeur du centre.

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