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Tribune : Chère OIF, pesez vos mots !

En réaction au coup d’État intervenu le 18 août dernier, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a suspendu le Mali. C’est plutôt vers la suspension d’un usage pervers des mots « État de droit », « démocratie » que l’organisation devrait porter toute son attention.  

C’est vrai que le président Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK », était un formidable représentant de la francophonie. Amoureux de littérature, amateur de Jean-Luc Godard, latiniste avéré… Mais l’étudiant d’histoire n’a pas compris ou voulu entendre le langage de la rue ou de l’opposition. Il s’est vu soudain contraint ou suggéré, c’est selon, à écrire une ligne de l’histoire du Mali. Une ligne qu’il n’avait jamais imaginée et qui s’est inscrite sur une page qui vient de se tourner : la sienne.

C’est certain, des militaires, treillis et fusils au poing, l’ont délogé lui et tout son gouvernement en dehors de tout cadre légal, constitutionnel, sans aucune légitimité démocratique. Mais il est à noter que tout cela s’est opéré avec une telle facilité que l’on se réjouit qu’aucun malien n’ait perdu la vie lors de ce départ inopiné. C’est du moins la version officielle.

« Se suspendre de l’Afrique de l’Ouest »

Ce point final du 18 août est qualifié par la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’ancienne patronne de la diplomatie rwandaise, Louis Mushikiwabo,  comme une « remise en cause de l’ordre constitutionnel non acceptable pour la communauté francophone, attachée aux principes de la démocratie et de l’État de droit ». S’en est ensuivie une suspension du Mali de l’OIF. Il est à espérer que de semblables forfaits n’aient pas lieu en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso ou au Niger où de redoutées « élections » auront prochainement lieu. Si telle occurrence advienne, alors l’OIF serait dépeuplée, et devrait se suspendre elle-même de l’Afrique de l’Ouest.

Mais, nous voudrions reprendre vos mots et vous demander : que signifient « ordre constitutionnel », « principes de la démocratie et État de droit » ? Et comment qualifier les résultats qui proclamaient vainqueurs au sortir des urnes des députés de l’opposition soudainement renversés par un « coup de force » de la Cour constitutionnelle en faveur de candidats acquis à la majorité d’alors ? Comment nommer l’autre coup de force constitutionnel institué par le président « IBK » qui a dissout de facto cette même Cour constitutionnelle en vertu de pouvoirs qui ne lui étaient pas conférés ?

Que signifie « nécessité de préserver les vies humaines et de protéger les populations contre toutes formes de violences » ?  Alors qu’à la différence des manifestations du 10,11 et 12 juillet 2020, qui ont fait verser dans les rigoles de la répression le sang de onze maliens sous les balles de la Forsat (Forces spéciales antiterroristes) sous instruction des plus hautes autorités, le coup de force du 18 août s’est opéré, semble-t-il, sans mort !

Élections de façade

Que signifie « démocratie » lors d’élections de façade ou beaucoup de Maliens sont soit contraints d’accepter le billet de 2000 francs CFA contre leur bulletin, car le lendemain ils ne sont pas certains de toucher une pièce de 500 francs CFA, soit empêchés de voter car leur région n’a pas été suffisamment sécurisée et que ces mêmes candidats se font enlever ?

Chère OIF, force est de constater qu’à force d’être corrompus les mots ont perdu toute valeur. L’OIF compte en son sein tant d’États membres qui bafouent au quotidien votre charte. Au-delà de la vérification des faits, du vrai du faux, le mal est plus grand que l’infox, car les mots contiennent un sens qui est sans cesse dévalué par des actes en contradiction avec leur signification.

Le langage est une convention. Ses locuteurs s’accordent sur la signification d’un mot et de ce qu’il peut représenter en idéal comme en réel. Mais ces mots « démocratie », « État de droit », advenus depuis 1991 au Mali, ont progressivement perdu tout lien avec la réalité. Ils sont sur le point, au Mali comme ailleurs, de susciter le rejet au lieu de porter l’espoir. C’est vers la suspension d’un usage pervers des mots « État de droit », « démocratie » que l’organisation de la Francophonie devrait porter toute son attention.


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