Souleymane Kéïta : « Il y a de fortes chances que nous soyons dans un printemps ouest-africain »
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Souleymane Kéïta : « Il y a de fortes chances que nous soyons dans un printemps ouest-africain »

Souleymane Kéita est enseignant chercheur, chargé de cours de philosophie politique et morale à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSH). Analyse des récents évènements au Mali, notamment le coup de force militaire qui a conduit  à la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta.

Benbere : Comment analysez-vous les derniers évènements survenus au Mali, notamment la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta à la suite d’un coup de force militaire ?

Souleymane Keita : Ce qui s’est passé est l’aboutissement d’un processus inéluctable. Mais, de façon plus globale, c’est l’échec à la fois d’un homme, d’un système instauré pratiquement depuis 30 ans et d’une classe politique qui doit être renouvelée. Regardons ce qui nous arrive plutôt comme une opportunité, parce que c’est ce que représente les crises en général. Et sachons pouvoir tirer profit de cette opportunité pour nous relancer.

Comment faire de cette crise une opportunité ?

Il y a crise lorsque les maillons d’une chaîne ne prennent plus. Si ça ne prend plus, il faut trouver une occasion pour relancer la machine. Refaire le chemin, comprendre ce qui a grincé, n’a pas fonctionné jusque-là et reprendre à nouveau tout le parcours qui avait été fait. C’est en cela que les crises sont des occasions de rebondissement, de « rectification », diront certains.

Qu’est-ce qui explique le recours aux coups d’État malgré trente ans de pratique démocratique ?

Depuis mars 1991, qui a vu les premiers jalons de l’ère démocratique se poser au Mali, nous n’avons pas su faire un maillage entre la dictature de laquelle on sortait et le nouveau vent démocratique qui soufflait sur le monde depuis la chute du mur de Berlin. Ce maillage n’a pas pris, parce que nous avons voulu faire du neuf avec du vieux. Je crains qu’on ne fasse la même chose. Généralement, ça ne marche pas.

À partir de la Constitution adoptée en 1992, nous avons fait plusieurs faux pas sur le plan institutionnel, sur le choix des hommes et sur la politique qu’il fallait mettre en œuvre. C’est tout ce qui fait qu’aujourd’hui, on est arrivé à la fin cycle. Et, en trente ans, avec deux coups d’État, on se rend compte que ça ne va pas.

Quelles pourraient être les conséquences de la situation au Mali sur des pays de la sous-région comme le Burkina, la Guinée, la Côte d’Ivoire où des élections sont prévues ?

Si vous regardez les agitations sur le plan sous-régional, dans l’espace CEDEAO, c’est parce que les mêmes causes qui ont conduit à ce qui est arrivé au Mali, on les retrouve dans des pays comme la Côte d’ivoire et la Guinée. Ils sont en train de regarder du côté du Mali comment tout cela va se terminer. Et il y a de fortes chances que nous soyons dans une espèce de « printemps ouest-africain ». Et ce vent risque de n’épargner aucun de ces dirigeants : ceux qui font un tripatouillage constitutionnel, ceux qui tentent un troisième mandat ou ceux qui sont dans un marasme comme notre cas avant le coup d’État. Mais un coup d’État, c’est toujours un échec global. On ne félicite pas un coup d’État. Ce n’est jamais une bonne chose dans une démocratie. “Maintenant, il faut sortir d’une tradition bien malienne, qui fait que notre jeu démocratique ne fonctionne pas : c’est l’idolâtrie des hommes, qui fait que pour avoir le pouvoir, il faut soit aller à Nioro, Badalabougou, Banconi…“ 

Quel rôle l’imam Mahmoud Dicko pourrait jouer dans la future transition ?

Ses soutiens disent qu’il se retirera du jeu politique et continuera à diriger la prière. C’est l’ordre normale des choses. Sauf que l’imam Dicko est devenu un personnage clé dans le jeu politique, peut-être malgré lui-même.

Aujourd’hui, il va être extrêmement compliqué que Dicko se retire. Il n’a pas arboré le manteau d’un membre du M5-RFP, d’un parti politique ou d’une organisation. Il dit qu’il est l’« autorité morale », le concept est important. Il est au-dessus de la mêlée et il regarde les hommes depuis une certaine hauteur.

Je crois qu’on va continuer à le consulter. Maintenant, il faut sortir d’une tradition bien malienne, qui fait que notre jeu démocratique ne fonctionne pas : c’est l’idolâtrie des hommes, qui fait que pour avoir le pouvoir, il faut soit aller à Nioro, Badalabougou, Banconi…Le jeu démocratique, ce n’est pas un jeu de nomination, ce n’est pas avec la bénédiction d’un Cheick. C’est la population, le peuple qui s’exprime et vous êtes investis d’une autorité qui vient du peuple.

Si c’est une autorité, qui vient d’un homme, vous lui êtes redevable. Je crois que l’imam Dicko a une expérience certaine dans ce cas-là, il sait se mettre en retrait quand il le faut et parler quand il le faut. Je pense que quand on arrivera aux élections, il va se mettre en retrait pour que personne ne puisse voler de ses ailes.

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Les commentaires récents (11)

  1. Se placer à gauche ou à droite de ces événements? Il est clair que la deuxième option soit la plus souhaitée puisse lorsque le vin est tiré, il faut le boire, dit-on, jusqu’à la lie, j’ajoute! Saisir ce coup d’État, pardon coup de force comme une opportunité permettra de revisiter notre architecture politique en proie à des crises multiformes depuis plus d’une génération. Cela dit, il faudra mettre définitivement tous les « acteurs démocratiques » à la retraite car ils se sont suffisamment enrichis. Il faudra également mettre tout le monde à sa place y compris les religieux, qu’ils soient barbus ou imams pour que nous puissions effectivement parler de laïcité, concept cher à mon ami Tidiani B Guindo.

  2. C’est vraiment une analyse limpide des problèmes non seulement du Mali depuis 30ans, mais aussi des pays de la sous-region. Nous pouvons compredre à suite de analyse qu’aucun pays de l’Afrique de l’ouest n’est à l’abri de ce qui se passe au Mali aujourd’hui, Car ces pays soffrent des mêmes maux.
    Merci Docteur pour la clarté de votrel’analyse.

  3. Je pense que l’analyse du Dr Keita est pertinente et constructive. De ma part, un coup n’est pas salutare, mais celui-ci pourrait permettre au Mali de changer de paradigme de gouvernance pour serner les vrais maux de gouvernance. Il faut refaire et redéfinir ce semblant démocratie au Mali. Il y’a un poit très crucial qu’il a évoqué, c’est-à-dire séparé le politique du relieux sans cela nous n’avancerons pas. Mais je pense aussi que la junte doit essayer de notoyer d’abord la gouvernance avant de le remettre aux civils, car le système est trop pourrie. Le peuple n’a plus confiance aux hommes politiques, donc il doit avoir d’abord des institutions fortes qui pourront maintenir la bonne gouvernance.

  4. Ce coup d’État est un mal nécessaire !
    Que nous soyons democrate, républicain ou je ne sais quel autre concept, c’est à saluer !

  5. Effectivement, cette démission provoquée doit être une aubaine pour revisiter, analyser et pouvoir corriger ce qui ne va pas dans notre politique. C’est vraiment un temps fort pour le peuple malien de tourner complètement cette page sombre de son histoire afin d’ouvrir la voie à d’autres compétences jeunes pour répondre aux attentes. Les militaires doivent aider à faire cela,mê ça doit passer leur gestion de la transition.

  6. L’analyse du Dr Keita est pertinente dans la mesure où nous sommes à faire avec des soi disant démocrate et pourtant il ne le sont pas , sinon ce régime n’est plus légitime . A travers le cris de cœur du peuple il devrait démissionner pacifique à défaut la junte a parrachever une lutte ardente que le peuple a mené .on doit féliciter nos jeunes officier