Vendeur de bétail, vivant à quelques kilomètres de la ville de Djenné, dans le « centre du Mali », Samba est confronté à l’amalgame et aux préjugés. Y compris de la part de certains de ses voisins, qui l’accusent de traiter avec des ennemis de la paix.
Depuis une trentaine d’années, il se déplace de foire en foire entre Djenné et les villages à la recherche des bêtes. Cette occupation ne le fait pas seulement vivre, elle lui procure fierté et satisfaction. Mais depuis une dizaine d’années, le sexagénaire fait l’amère expérience de l’amalgame de certains de ses voisins.
«Je suis d’une communauté connue par son accoutrement simple. Je porte toujours une djellaba et un turban qui me protège des intempéries et qui me sert aussi de tapis de prière et même de couverture quand je prends ma sieste. Je ne me déplace jamais sans mon bâton, qui est mon fidèle compagnon. De nos jours, certains considèrent cet ensemble comme une marque, celle du terroriste », déplore-t-il.
« J’étais mort de peur »
Samba ne cesse de subir les affres des préjugés. En décembre 2023, il a échappé de justesse à la mort. « C’était un dimanche soir. Je quittais Diabolo (une localité située à quelques kilomètres de la ville de Djenné) pour Djenné avec deux autres revendeurs. J’avais quelques ruminants à vendre ici à la foire hebdomadaire de Djenné. Des hommes armés, venus de nulle part, nous sont tombés dessus. Ils ont pris notre bétail et tout ce que nous possédions, y compris nos téléphones portables. J’étais mort de peur », se souvient-il. Depuis, il limite ses déplacements, essayant d’éviter les zones les plus dangereuses.
Samba est loin d’être le seul à subir le vol de bétail. Un rapport de l’ Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale (GI-TOC) souligne que «dans la région de Mopti, considérée comme l’épicentre du vol de bétail dans le pays, le nombre de têtes de bétail volées a augmenté de 42.000 pour passer à près de 130.000 en 2021».
Ce qui révolte le vieux Samba, c’est que plus la situation sécuritaire se détériore, plus il subit des soupçons infondés le liant à des personnes peu fréquentables « Certains disent de moi que je traite avec des terroristes. D’autres affirment que ce sont eux [les terroristes] qui me « filent » les animaux que je revends. Personnellement, c’est comme si je suis constamment surveillé. Mais je suis victime comme mes frères sans distinction d’ethnie », se désole-t-il.
Contre l’amalgame
Pour le sociologue Yacouba Dogoni, l’amalgame et les préjugés compliquent la vie de certaines communautés. « En 2012, au moment où le nord du Mali était la partie la plus touchée par la crise suite à l’offensive des mouvements indépendantistes, les Touaregs subissaient des préjugés dans différentes villes du pays. Même à Kati, certains membres de cette communauté ont été pris injustement pour cible, ce qui a provoqué leur fuite vers le Burkina, le Niger, la Mauritanie ou la Libye », rappelle le sociologue.
Toujours selon monsieur Dogoni, ces préjugés touchent également la communauté peule depuis que la crise s’est accentuée dans le centre du pays. « Il est crucial de sensibiliser la société aux dangers de l’amalgame », soutient M. Dogoni. « Et de faire comprendre aux uns et aux autres que les discours de haine détruisent ce qui reste du tissu social. Il faut aider à briser les stéréotypes et à promouvoir la compréhension mutuelle. »