Sur les réseaux sociaux, un nombre croissant d’activistes soutenant l’Alliance des États du Sahel (AES) appelle à suspendre les médias qui ne suivent pas strictement le discours officiel des gouvernements concernant les groupes armés qualifiés de terroristes. Cependant, céder à cette tentation de museler les médias risque de nuire gravement à l’accès à une information fiable et pourrait renforcer la désinformation.
Le 13 septembre dernier, sur le réseau social X, l’activiste suisse Nathalie Yamb s’est félicitée de la suspension temporaire de TV5 Monde par le Mali. Elle a même proposé d’aller plus loin en suggérant que « soit suspendu tout média qui qualifie les membres du CSP [Cadre stratégique permanent] de rebelles au lieu de terroristes ».
Dans les commentaires à cette publication, certains internautes ont proposé d’aller encore plus loin et d’interdire certains éléments de langage comme « junte », « putschiste », etc. D’autres, qui ne cachent pas leur haine pour l’Occident, disent que « tous les enfants du chien sont des chiens » et que « tous les médias occidentaux se ressemblent tous et devraient être suspendus ».
Ces appels à la censure, bien qu’exprimant des frustrations, représentent une menace pour le pluralisme médiatique, un élément essentiel dans toute société démocratique.
Une menace de censure injustifiée
L’argument de ces activistes repose sur l’idée que nous serions en pleine « guerre informationnelle », et que toute couverture médiatique du Sahel se divise en deux camps : ceux qui soutiennent les gouvernements et ceux qui soutiennent les « terroristes ». Ce raisonnement simpliste ne rend pas justice à la complexité des conflits en cours au Sahel.
Bien que la « guerre informationnelle » existe en tant que prolongement de la guerre physique, elle concerne d’abord et avant tout les belligérants – gouvernements et groupes armés.
Les médias, dans leur mission d’informer, doivent rester fidèles aux principes qui régissent la profession journalistique, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix. Dans leur livre Principes du journalisme (Gallimard, 2021), Bill Kovach et Tom Rosenstiel énoncent neuf principes, dont trois me semblent essentiels à préserver à tout prix, surtout en temps de guerre : « s’astreindre au respect de la vérité », « conserver son indépendance à l’égard de ceux dont on relate l’action » et « obéir aux impératifs de sa propre conscience ».
Le risque d’alimenter la désinformation
Imposer aux journalistes des éléments de langage ou leur interdire d’employer certains mots constituerait une grave atteinte à leur indépendance et à leur liberté de conscience. Cela reviendrait à les transformer en simples relais du discours officiel, les privant de leur capacité à offrir un regard critique et à informer véritablement le public.
Si les médias sont muselés, ils perdront leur crédibilité aux yeux des citoyens, qui pourraient alors se tourner vers des sources d’information moins fiables, comme les réseaux sociaux, où la désinformation est monnaie courante. Un média qui se contente de répéter les éléments de langage officiels ne sert ni le public, ni la démocratie. La force du journalisme réside dans sa capacité à surprendre, à révéler des vérités que l’on n’attend pas. C’est cette surprise, ce décryptage des faits qui retient l’attention des lecteurs et des auditeurs.
Faire confiance aux journalistes
Plutôt que d’affaiblir les médias en les forçant à s’autocensurer, il est préférable de leur faire confiance. Les lois qui encadrent la presse, ainsi que celles sur la cybercriminalité, sont déjà suffisantes pour sanctionner tout comportement professionnel déviant. Museler les médias ne ferait que les fragiliser davantage, alors qu’ils souffrent déjà d’une précarité économique qui les frappe de plein fouet.
La « guerre informationnelle » ne doit pas être un prétexte pour museler les médias. Au contraire, c’est précisément dans ces moments de crise que le rôle des journalistes devient essentiel pour offrir une information objective et diversifiée. Le pluralisme et la liberté de la presse ne sont pas des faiblesses à combattre, mais des forces à préserver pour garantir une société mieux informée et plus résiliente face à la désinformation.