Le 22 septembre, à l’occasion du 64e anniversaire de l’indépendance du Mali, plusieurs comptes sur X ont partagé une liste de 42 sociétés qui auraient été créées sous la présidence de Modibo Keïta, premier président du Mali indépendant. Cependant, notre vérification révèle que certaines de ces entreprises ont en réalité vu le jour sous la colonisation ou sous le régime de Moussa Traoré.
La liste publiée sur la page Histoires d’Afrique a généré plus de 47 000 vues et 172 partages. Une autre publication similaire sur la page @DelphineSankara a cumulé 36 000 vues et 103 partages. Parmi ces sociétés, beaucoup ont effectivement été créées sous le régime de Modibo Keïta (1960-1968). Par exemple, Air Mali, Énergie du Mali et la Pharmacie populaire du Mali datent de 1961. La Société d’exploitation des produits oléagineux du Mali (SEPOM) a été créée en 1962, la Société de conserveries du Mali (SOCOMA) en 1964, tandis que la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (SONATAM) a été créée en 1966.
Un rapport de la Banque mondiale, publié le 15 mai 1970, donne des informations pertinentes sur beaucoup d’entreprises publiques créées sous l’ère Modibo Keïta et leur viabilité économique. Ces créations témoignent de la politique économique et industrielle ambitieuse du président Keïta.
Toutefois, BenbereVerif a vérifié cette liste et a trouvé au moins 8 sociétés qui ont été créées avant ou après la présidence de Modibo Keïta.
1. L’Office du Niger, une société créée avant l’indépendance du Mali
L’Office du Niger occupe le numéro 6 sur la liste des sociétés attribuées au régime de Modibo Keïta. Pourtant, les sources disponibles montrent que cette société spécialisée dans les produits agricoles a été créée longtemps avant l’indépendance du Mali. Le site web du ministère malien de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche commence l’historique de cette société entre 1934 et 1947, où a eu lieu la « construction du barrage de Markala, long de 816 m avec 488 vannes mobiles ». Il ajoute que cette société a été nationalisée en 1961, avant de subir des restructurations et réorganisations, notamment en 1994 et 2010.
Le rapport de la Banque mondiale de 1970 précise que cette société « est une vaste entreprise agricole dont l’activité a commencé avant l’indépendance ». Le rapport souligne que l’Office exploitait « une raffinerie de sucre, une petite huilerie, une savonnerie et une distillerie ». Beaucoup d’eau a coulé sous le pont depuis, mais l’entreprise continue à jouer un rôle important pour la souveraineté alimentaire du Mali.
Même si le pouvoir de Modibo Keïta a nationalisé l’Office du Niger, il ne l’a pas créé.
2. La Briqueterie de Bamako a été créée en 1924
La « Société des briqueteries du Mali » occupe le numéro 7 sur la liste. Pourtant, cette société a été créée longtemps avant que le premier président du Mali n’accède au pouvoir.
Un document officiel précise que la « Société de briqueteries de Bamako » a été constituée le 31 décembre 1924 comme filiale d’une entreprise française avec pour objectif « la fabrication et la vente de tous matériaux de construction en Afrique Occidentale Française et principalement au Soudan français. »
Un rapport de la Banque mondiale, mentionné précédemment, indique que la briqueterie a été rachetée par l’État en 1962, mais a ensuite enregistré un important déficit dans les années qui ont suivi. Ce rapport souligne que cette briqueterie est l’une des entreprises d’État dont la justification du caractère public est difficilement défendable au Mali, et qu’elle serait vraisemblablement plus rentable si elle était privatisée.
3. L’Entreprise malienne des bois (EMAB) créée en 1970 sous Moussa Traoré
L’Entreprise malienne des bois (EMAB) figure au numéro 11 sur la liste. Cependant, il convient de noter que l’ordonnance portant création de cette entreprise a été signée le 26 juin 1970 par le lieutenant Moussa Traoré, alors président du Comité militaire de libération nationale, qui avait renversé Modibo Keïta deux ans auparavant. L’EMAB avait pour objectif principal « la confection et la vente de tous ouvrages en bois, ainsi que d’accessoires métalliques ». Néanmoins, l’entreprise ne connaîtra pas un avenir florissant et sera dissoute en 1988.
4. La Société malienne du bétail, des peaux et cuirs (SOMBEPEC)
La Société malienne du bétail, des peaux et cuirs (SOMBEPEC) figure à la vingtième position sur la liste des sociétés. Cependant, selon une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), SOMBEPEC a été créée par ordonnance le 22 août 1969, presque un an après la chute de Modibo Keïta. Sa mission principale est d’acheter en gros des animaux de qualité et d’approvisionner les marchés intérieurs. En outre, elle détient l’exclusivité de la vente de viande sur les marchés internationaux dans le cadre des accords commerciaux entre le Mali et d’autres pays.
5. Création de la CMDT en 1974
La Compagnie malienne des textiles (CMDT) figure au numéro 25 sur la liste des entreprises. Cependant, le site officiel de cette entreprise, considérée comme un « maillon essentiel de la filière de production cotonnière du Mali », indique clairement qu’elle a été fondée en 1974, soit six ans après la chute du régime de Modibo Keïta.
6. La mine d’or de Kalana
Située dans le cercle de Yanfolila, dans la région actuelle de Bougouni, la mine d’or de Kalana fait partie des entreprises attribuées à Modibo Keita. Toutefois, les données disponibles révèlent qu’elle est en réalité « la première mine industrielle mise en service au Mali en 1985 », soit 17 ans après la chute du régime de Modibo Keïta.
7. L’usine de sacherie de San (SOMASAC)
L’Usine de sacherie de San est également attribuée à tort à Modibo Keïta. En réalité, elle a été construite en 1971, trois ans après la chute de son régime. Selon un article de 1987 sur les industries au Mali, cette sacherie « fabrique à San des sacs en fibre végétale de dah (hibiscus) » et est le fruit d’investisseurs privés qui se sont mobilisés au début des années 1970 pour contribuer à l’économie du Mali, en complément des projets d’État financés par l’aide étrangère.
8. La Société d’exploitation des phosphates de Tilemsi SA (SEPT-SA) a été fondée en 1976
Une autre société est « Les phosphates du Tilemsi et de Bourem ». Toutefois, différentes sources indiquent que l’exploitation des gisements de phosphate dans le nord du Mali a réellement débuté avec la SEPT-SA en 1976.
Selon Maliweb, « Les installations de la SEPT-SA, d’une capacité de 36 000 tonnes par an, comprenaient une unité de production d’électricité, un broyeur, des machines de criblage, de cyclonage et d’ensachage, ainsi que des équipements de stockage ». La société a été dissoute en 2005.
Chaque année, lors des fêtes nationales, des listes des réalisations de Modibo Keïta circulent sur les réseaux sociaux (comme ici et ici ). Cependant, ces listes mélangent souvent les accomplissements du premier président du Mali indépendant avec ceux réalisés avant ou après son mandat.