Désinformation : l’autre virus mortel de la Covid-19
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Désinformation : l’autre virus mortel de la Covid-19

La diffusion de fausses nouvelles peut avoir des conséquences fâcheuses voire destructrices pour la société. C’est bien ce à quoi on assiste avec la pandémie de coronavirus (Covid-19), qui a déjà fait plus 6.000.000 de victimes à travers le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cet article a été initialement publié sur le site Mali24.info.

L’infodémie tue en Afrique autant que le virus de la Covid-19. C’est l’avis de quelques spécialistes que nous avons rencontrés. D’un côté, la peur constante d’être contaminé, et de l’autre le refus d’observer les mesures barrières à cause des rumeurs autour de la maladie : tels sont, entre autres, facteurs qui ont été à l’origine de cas de décès des suites du coronavirus et d’autres pathologies.

La lutte contre cette maladie est rendue difficile à cause de la désinformation et la mésinformation. En plus des intox sur les sites parodiques et Facebook, les applications WhatsApp, Twitter sont utilisées pour véhiculer des vidéos et des audio aux contenus manipulateurs, visant à faire croire à la théorie du complot et au scepticisme.

Seydou Baba Traoré, Centre national d’information, d’éducation et de communication en santé (CNIECS)

« L’impact est négatif en ce sens qu’il y a tellement de fake news sur AstraZeneca. Aujourd’hui, le monde est un village planétaire où tout le monde est connecté. Ce vaccin vient de l’Occident. Si les Occidentaux eux-mêmes ont des réserves, ça amène les gens à réfléchir. Chez nous, au Mali, la vaccination devrait commencer par les médecins. Là aussi, il y a eu des réticences. Si les médecins refusent, qui va accepter ? C’est pourquoi, au niveau du CNIECS, nous avons décidé d’élaborer et diffuser des messages, notamment avec les présidents des cinq ordres de santé et le président du comité scientifique. Il y a aussi l’engagement communautaire. On a fait le porte-à-porte pour sensibiliser les gens, faire des animations afin de les amener à accepter la vaccination. Donc, au CNIESC, face à la réticence soutenue par la désinformation, les fakes news, nous avons été obligés de déployer une batterie d’activités : émissions sur les radios, Télé, animation publique, plaidoyer, sensibilisation. »

Markatié Daou, chargé de communication au Ministère de la Santé et du Développement social

« L’impact de la désinformation volontaire et involontaire sur la lutte contre la maladie à coronavirus est patent. La désinformation est aussi nuisible que la maladie elle-même, parce que les premiers impacts que nous avons constatés ont été le fait que les agents socio-sanitaires et les usagers des centres de santé pensaient qu’une fois un cas positif détecté, il faut abandonner la structure au risque de se faire infecter. Ça a été le premier impact de la désinformation, qui a fragilisé le système sanitaire au point que lorsqu’on parlait d’un cas suspect déjà, les agents socio-sanitaires désertaient les lieux. On ne comprenait pas qu’un cas suspect ne soit pas forcément un cas confirmé, et un cas confirmé ne puisse être un cas à abandonner. Et que sa prise en charge correcte constituait un garde-fou, une garantie pour éviter la propagation de la maladie. Le second impact des fake news a été la désorientation des agents socio-sanitaires. Par exemple, quand on dit qu’il y a eu ‘14 cas à l’Hôpital du Mali’, ‘des cas positifs évadés’, un ‘monsieur en soins a escaladé le mur pour s’enfuir faute de nourriture’, non seulement cela met en doute l’efficacité du système de prise en charge des cas de Covid-19, mais la communauté d’accueil est aussi indexée. Si c’est aux alentours d’un marché ou d’un centre commercial, vous verrez que cela va impacter sur les recettes du marché en question. On a vu ces cas avec une autre maladie semblable qu’est Ebola. Quand on a dit que le centre d’isolement était installé à Lassa, même les produits agricoles et maraîchers dudit quartier n’étaient plus écoulés comme c’était le cas. Vous avez, en ce qui concerne le coronavirus, le cas de la dame arrivée de Paris. On a dit que bien qu’elle ait été testée positive, elle s’est cachée pour venir au Mali. C’étaient des fausses informations et elle a porté plainte.

Les rumeurs, que ce soit sur la prise en charge de la maladie, sur la maladie ou que ou encore sur la vaccination, ont eu les mêmes impacts. Concernant la vaccination, il a été dit que le vaccin AstraZeneca transformait les humains en cheval, provoquait d’autres maladies ou encore créait une coagulation sanguine. Toutes ces fausses informations ont beaucoup impacté le processus de vaccination au Mali. Ce qui fait que quand le vaccin est arrivé, nous avons mis le temps nécessaire pour sensibiliser, pour mettre un dispositif assez huilé afin que les gens ne continuent pas à épouser et à développer les mêmes suspicions. Même si nous avons réussi des prouesses, en réalité l’impact des premières rumeurs est resté. Donc, normalement, on devrait inoculer la moitié des 396.000 doses reçues en 40 ou 50 jours de vaccination. Nous n’avons pas atteint la moitié, parce que les gens ont développé une certaine suspicion vis-à-vis du produit.

C’est pour vous dire que les rumeurs et la désinformation volontaire ou involontaire a un impact négatif réel sur la lutte contre la maladie de coronavirus, sa prise en charge et même la vaccination. Au niveau du département, on a mis en place un centre d’appels téléphoniques ouvert à tous dont les numéros sont connus. Cela nous a permis d’enregistrer beaucoup de questions auxquelles nous avons donné des réponses. Sur les réseaux sociaux, le même système est en cours et mérité d’être renforcé. Grâce à un partenariat avec l’Unicef, ce renforcement est en cours. Nous sommes en train de travailler avec un certain nombre d’influenceurs pour couper court aux rumeurs concernant la vaccination. »

Dr Seidina A. S. Diakité, Enseignant-chercheur, maître-assistant d’immunologie à la Faculté de médecine et pharmacie /Université des sciences des techniques et des technologies de Bamako

« Il faut réorganiser la communication autour de cette maladie de façon verticale, allant des scientifiques (chercheurs) aux professionnels de santé qui serviront de relais auprès de la population. La désinformation autour de la Covid-19 a surtout été alimentée par le caractère émergent de la maladie (nouvelle maladie inconnue). Ce caractère émergent de la maladie a engendré des tergiversations dans les discours officiels des gouvernants, des scientifiques et praticiens (médecins) sur la maladie, ouvrant la porte à des actes de désinformation délibérés sur la Covid-19 et le système de santé moderne de façon générale. L’origine chinoise du virus fait l’objet de manipulation à visée géopolitique. Les impacts de ces désinformations ont rendu très difficile la lutte contre la Covid19. Il s’agit de la décrédibilisation des systèmes de santé de façon générale, touchant même à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; la dramatisation de la maladie affectant même la fréquentation des structures de santé et même la désertion de ces structures ; et enfin un taux faible d’adhésion au processus vaccination anti-Covid qui pourrait aboutir à la péremption des dizaines de milliers de doses de vaccin.

Il y a la nécessité de réorganiser la communication autour de cette maladie de façon verticale allant des scientifiques (chercheurs) au professionnel de santé qui serviront de relais auprès de la population. Il faut aussi promouvoir le journalisme scientifique qui faciliterait la diffusion d’informations scientifique sûres. »

Dr Lamine Mohamed Diakité, médecin colonel de la protection civile, directeur régional de la protection civile de Ménaka

« Les intox et autres désinformations contribuent à faire douter les populations de l’existence réelle de la maladie. De ce fait, ils seront tentés d’ignorer les mesures édictées pour limiter la propagation, l’auto-confinement et, surtout, le refus de la vaccination (le seul moyen de prévention sûr). Les intox ont aussi contribué à augmenter le taux d’automédication entravant ainsi les efforts de recherche sur le traitement. »

 

Même dynamique au plan mondial où l’infodémie sur la pandémie du coronavirus a pris le pouvoir sur les réseaux sociaux. En plus des intox, rumeurs et autres désinformations, des théories complotistes sont savamment montées pour semer le doute et le scepticisme au sein des populations, comme celle annoncée dans une vidéo sur Facebook, le 17 mars 2020, indiquant que « le virus a été breveté et inventé par les Français et l’institut Pasteur ». Cette vidéo a enregistré plus de trois millions de vues avant d’être retiré. C’est dire que la désinformation sur la maladie du coronavirus a été tout aussi fatale que le virus lui-même.


  • Cet article est publié avec le soutien de JDH-Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada.

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