Malgré que la pratique de l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes soit connue de tous, les pouvoirs publics brillent par leur troublant silence. Une attitude des autorités qui suscite des interrogations et incompréhensions au sein de l’opinion publique nationale, estime le blogueur Sinsin Salomon Tienou.
La pratique de l’esclavage a été officiellement abolie en 1905, en pleine période coloniale. Les articles 1 et 2 de la Constitution de 1992 stipulent : « La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne. », « Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. » Pourtant, les militants anti-esclavagistes se sont vus privés de certains de leurs droits les plus élémentaires, comme si dans les localités où a cours la pratique de l’esclavage par ascendance ne font pas partie de la République du Mali.
Les « jons », qui ont voulu s’affranchir, sont marginalisés, stigmatisés voire torturés dans certaines de ces localités. Une attitude qui a poussé des milliers de ces personnes à quitter ces localités. Mais, l’impression qui se dégage est que les autorités veulent fermer les yeux sur cette triste réalité, d’autant qu’elles restent silencieuses pour le moment.
Interdits de mariage
« Nous ne participons pas aux prises de décision, n’avons pas accès à un certain niveau de responsabilité. Nous ne pouvons pas non plus nous marier avec les « horons ». Les tâches domestiques nous sont réservées», dénonce Babassa Diarra, un « jon » vivant à Diakadouromou, village situé dans la commune de Marenkafo, dans le cercle de Yélimané.
Pour l’ex-député Mamadou Hawa Gassama, une influente personnalité dans le cercle de Yelimané, considéré comme l’épicentre de la pratique de l’esclavage par ascendance, les propos distillés par les médias sont souvent « sans fondement ». Certains « jons », dit-il, « sont des imams, des conseillers de chef de village et d’autres sont même devenus des élus locaux. »
Quant aux interdits de mariage entre les « jons » et les « horons », il explique c’est une norme sociale qui existe dans toutes les sociétés maliennes. Il s’agit de pactes sociaux interdisant le mariage entre certaines communautés pour conserver leurs liens socio-culturels. Les « jons » peuvent-ils devenir chefs de village ? « Vous ne pouvez pas être chef d’un village dont vous n’êtes pas le fondateur », tranche l’ex-parlementaire. Et sur la question des spoliations de terres et menaces envers les « jons », qui refusent d’assumer leur statut, Mamadou Hawa Gassama répond : « Quand on refuse de respecter les coutumes, il faut également laisser les avantages que cette coutume vous a octroyés. »
Sauver le vivre-ensemble
Pour préserver le tissu social et parvenir à une cohabitation exemplaire, les autorités doivent prendre leur responsabilité. Elles doivent instaurer un dialogue ouvert entre les protagonistes. Pour y arriver, il faut d’abord briser le tabou qui entoure la question de l’esclavage par ascendance et poser le problème pour trouver des solutions.
La région de Kayes, notamment le cercle de Yelimané a une forte représentation à l’étranger. La diaspora de Yélimané peut jouer un rôle clé dans la recherche de solution à la pratique de l’esclavage par ascendance. Aujourd’hui, la situation qui prévaut dans la région de Kayes requiert la conjugaison des efforts de toutes les communautés et des pouvoirs publics pour éviter un enlisement.
Il faudrait organiser des missions de sensibilisation dans les localités fortement touchées par la pratique de l’esclavage par ascendance, et parvenir à amener notamment les « horons » à changer de perspective. Il revient à l’État de jouer ce rôle.