Menaces, enlèvements : le journalisme au Mali, profession en péril sous les groupes armés
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Menaces, enlèvements : le journalisme au Mali, profession en péril sous les groupes armés

Le journalisme est de plus en plus un métier à haut risque au Mali : entre intimidations, menaces et enlèvements. A ce jour, en plus d’avoir subi des menaces, plusieurs journalistes ont été enlevés et la douleur est immense pour les familles.

Assis dans un confortable canapé marron, Ali Ibrahim Maïga a l’esprit occupé par son smartphone. Nous avons rendez-vous avec lui dans le hall calme, brillant et lumineux d’un hôtel bamakois. Le calme qui règne tranche avec l’instabilité sécuritaire à des centaines de kilomètres de la capitale malienne.

La trentaine, Maïga est journaliste radio basé à Gao. « J’ai reçu des menaces par téléphone. J’ai signalé à la police. Malheureusement, jusqu’à présent, il n’y a aucun indice ou quoi que ce soit pour identifier les auteurs », dit-il. Comme lui, de nombreux professionnels des médias font face à des menaces constantes de la part des groupes armés, notamment ceux qui se réclament du djihad, principaux moteurs de la violence qui a transformé les régions du nord et du centre en foyers d’instabilité. De plus, sur le terrain plongé dans ses activités journalistiques, Maïga dit être parfois suivi par des individus non identifiés.

Critiques visant les groupes armés

Outre les menaces, de nombreux journalistes ont été enlevés au Mali. En 2018, Malick Aliou, travaillant pour la radio Aadar Koima, est enlevé par de présumés djihadistes avant d’être relâché plus tard. Selon Ali Ibrahim Maïga, la raison de son enlèvement était liée à ses critiques à l’encontre des groupes armés qualifiés de djihadistes dans son émission.

D, journaliste basé à Niafunké, fait également état de menaces qu’il a reçues. « Juste parce que j’ai travaillé avec des ONG et des professionnels de la santé pour promouvoir la santé sexuelle et un bon comportement sexuel», explique-t-il. Un sujet que les groupes dits djihadistes considèrent comme « immoral et contre les valeurs islamiques».

Le jeune journaliste affirme avoir été arrêté à plusieurs reprises, alors qu’ils se rendaient dans des villages voisins par de présumés djihadistes. Ces derniers ont interdit les rassemblements d’hommes et de femmes. De plus, un homme et une femme ne peuvent être sur la même moto, l’un des moyens de transport les plus utilisés dans cette zone.

Aboubacar Mohamed, 27 ans, est un journaliste originaire de Tombouctou, et étudiant en master dans une université à Bamako. « Il y a 2 mois, après avoir passé un peu de temps chez moi, j’étais sur le chemin du retour sur Bamako. Dans la région de Mopti, le bus dans lequel je me trouvais a été arrêté par des dozo. Ils ont dit qu’ils cherchaient des peuls », se souvient Aboubacar. Il a été arrêté. « J’ai entendu des gens leur dire que je n’étais pas peul. Les passagers leur ont tenu tête pour me protéger ».

Douleur et peur

Malheureusement, deux autres journalistes n’ont pas eu la même chance. Hamadoun Nialibouly et Moussa M’Bana Dicko ont été respectivement enlevés par des dozo et des présumés djihadistes. « De sources fiables, nous savons que Moussa Mbana Dicko est bien vivant, contrairement à Hamadoun Nialibouly. Nous ne savons pas où il se trouve et avec qui », détaille Mamoudou Bocoum, coordinateur régional de l’Urtel (Union des radios et télévisions libres du Mali), à Mopti. Un ex-otage a indiqué que Dicko a été jugé par les djihadistes et sera bientôt libéré, selon Mamoudou Bocoum. Hamadoun Nialibouly a été enlevé le 27 septembre 2020, à Mandjo, à 2 km de Somadougou et Moussa Mbana Dicko le 18 avril 2021, chez lui, à Boni.

Frère de Hamadoun, Ousmane Nialibouly ne cache pas sa douleur, encore moins sa peur. « Nous sommes blessés [et] inquiets », dit-il. Avant de poursuivre : « Depuis que notre père est décédé, nous ne comptions que sur lui. Il est le pilier de la famille, il a payé mes frais de scolarité et mes frères cadets, et en tant que leader communautaire, il aide tant de gens ».

A ces mots, le sourire qu’il arborait s’est évanoui, laissant place à des yeux imbus de larmes. « Au début, quand j’appelais à la maison pour avoir des nouvelles des enfants, ils posaient toujours des questions sur leur père. Je ne sais toujours pas quoi leur dire. Parfois, je coupe intentionnellement la ligne et pleure. Maintenant, les aînés [le dernier né avait 3 mois quand Hamadoun a été enlevé] ont cessé de poser des questions, je suppose qu’ils essaient de me soutenir à leur manière », ajoute Ousmane. La situation est pénible pour l’épouse.

Le journaliste français Olivier Dubois est également porté disparu. Il a été enlevé le 8 novembre 2021 à Gao. De temps en temps, des lettres que lui écrivent sa femme et ses enfants sont lues sur Radio France Internationale.

« Meurtre » et « enlèvement »

Ayouba Kamien est un journaliste web basé à Bandiagara. Il fait souvent face aux dozo. « J’ai été arrêté plusieurs fois et j’ai subi un interrogatoire avant qu’ils ne me laissent passer  », raconte Kamien. Après avoir pris quelques photos à la suite de l’attaque d’un village, sur le chemin du retour il est interpellé brièvement par un groupe de dozo : « L’un d’eux a fouillé mon téléphone et vérifié les photos que j’ai prises. J’ai ensuite été contraint d’en supprimer quelques-unes avant qu’ils ne me laissent partir. » Depuis, il a l’impression que ces derniers surveillent la plupart de ses publications sur les réseaux sociaux. « La menace est réelle. J’ai peur, ils connaissent ma maison ». Or, dans cette partie du pays, toutes les 48h il y a soit un meurtre, soit un enlèvement, s’inquiète-t-il.

« Nous avons fait de notre mieux. Nous avons rencontré les forces de sécurité, les chefs religieux pour solliciter leur aide », fait remarquer Bandiougou Danté, président de la Maison de la presse. Il n’y a aucun chiffre disponible, à ce jour, au sujet du nombre de journalistes portés disparus au Mali en raison de l’insécurité. De nombreuses familles préfèrent ne pas médiatiser, déplore Danté. Ousmane Nialibouly avance une explication : « J’ai perdu tout espoir dans les institutions de l’État, le gouvernement, les forces de sécurité et le système judiciaire. »

Alors que les familles des journalistes enlevés vivent dans cette situation douloureuse, des personnes malveillantes en profitent pour leur extorquer de l’argent. Ces dernières prétendent être ceux qui détiennent une personne enlevée. « Quand mon frère a disparu, j’ai reçu des appels d’un inconnu me demandant de payer 250 000 F CFA si je voulais le revoir »,  raconte Ousmane. Un paiement qu’il s’est empressé d’effectuer. Cette personne a continué à demander plus d’argent jusqu’à ce qu’il demande une preuve qui montre que son frère est vivant.

De nombreuses familles ont ainsi payé une rançon à des personnes sans lien avec les ravisseurs. « Ils nous ont dit de ne pas informer la police ou toute personne liée aux institutions de l’État. Nous savons que des personnes ont été relâchées au bout de quelques jours sans l’intervention de la police ou de l’armée », confie A. M.

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