Le sociologue Fodié Tandjigora a publié, le 2 septembre 2022, un rapport intitulé « L’esclavage par ascendance dans la région de Kayes. Une étude socio-anthropologique ». En plus d’offrir une vue d’ensemble sur la pratique et ses manifestations, l’étude met en exergue le rôle des réseaux sociaux, notamment WhatsApp, dans la lutte contre la pratique.
Malgré son abolition en 1905 par un décret colonial, la pratique de l’esclavage par ascendance perdure. Elle se manifeste dans la région de Kayes, depuis maintenant une décennie, par un conflit ouvert entre les populations vivant sous le statut de « jon » et les anciens « maitres ».
À l’échelle planétaire, le rôle des réseaux sociaux dans les luttes sociales et politiques n’est plus à démontrer : du « printemps arabe » aux mobilisations entre juin et juillet 2020 au Mali contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta en passant par la guerre en Ukraine. Ils constituent désormais un autre moyen d’expression et de mobilisation, ou encore des outils pour les citoyens, les minorités qui n’ont pas toujours pas accès aux médias dits traditionnels pour se faire entendre.
Éveil des consciences et médiatisation
Ainsi, les organisations et individus à la pointe de la lutte contre la pratique de l’esclavage par ascendance au Mali ont recours aux réseaux sociaux dans leurs mobilisations. « Les groupes WhatsApp ont joué un rôle crucial » dans l’éveil des consciences et dans la médiatisation du combat à l’échelle internationale, lit-on dans le rapport de Fodié Tandjigora.
Une étude, publiée en janvier 2022 par l’ONG We Are Social, estime à 6,33 millions le nombre de Maliens utilisant Internet et 2,15 millions sont des utilisateurs actifs des réseaux sociaux. Avec une population à majorité analphabète, c’est le réseau social WhatsApp qui est le plus populaire (pour le moment, aucun élément concret n’appuie cette affirmation). Ainsi, on apprend dans le rapport que « l’usage des réseaux sociaux, notamment WhatsApp et Facebook, a contribué à propager le mouvement anti-esclavagiste ».
Les groupes WhatsApp permettent de faire passer facilement les messages, surtout entre « la diaspora en Espagne et en France » et les jeunes ruraux victimes de l’esclavage par ascendance. Dans ces pays, comme en France au sein des associations de migrants, les considérations socioculturelles influencent aussi la distribution des postes : par exemple, le secrétariat à l’information est confié à un homme de caste. Les conflits liés à l’esclavage par ascendance ont freiné les dynamiques de développement et des associations où des voix s’élèvent contre la pratique ancrée dans les localités dont elles sont originaires.
Dérapages et affrontements
Les appels à la mobilisation, au refus de se soumettre à la pratique venant de la diaspora sont diffusés en audio et dans les langues locales. Pour l’auteur de l’étude, l’apport des réseaux sociaux n’a pas été que bénéfique : « Il y a eu des dérapages liés aux réseaux sociaux. Des vocaux qui circulaient sur des groupes WhatsApp ont envenimé la situation. Des villages se sont affrontés sur la base des vocaux attribués à telle ou telle localité ».
Dans le rapport, un schéma chronologique de la lutte contre l’esclavage par ascendance est fait. Ainsi, on découvre que c’est à partir de la création des groupes WhatsApp en 2019 que la lutte a mobilisé les jeunes dans les villages et communes de Kayes, ce qui a entrainé le « retrait des champs aux descendants d’esclaves par les notables ».
Les réseaux sociaux ont servi aussi d’alerte pour les pouvoirs publics, comme le fait savoir dans un long témoignage une déplacée forcée : « […] C’étaient des jeunes partis nous réveiller et nous dire d’abandonner le village, car nos maris ont refusé le laada. Ils ne nous ont même pas permis de prendre nos affaires […] Nous avons partagé notre cas sur WhatsApp et cela a indigné beaucoup de gens. Suite à cela, les notabilités de Kainéra ont été convoquées par le chef de brigade de Diéma, mais ils ont tout nié. »