La communauté des blogueurs du Mali (DoniBlog) a commandité une étude sur les réseaux sociaux au Mali. En plus d’offrir une vue d’ensemble sur leur utilisation de façon générale, le rapport met en exergue le rétrécissement de la liberté d’expression en ligne dans un contexte marqué par la manipulation de l’information et la propagande.
Cette étude de plus de 70 pages, non encore rendu publique, avait pour objectif d’avoir « une compréhension approfondie et sociale de l’usage des réseaux sociaux pour les jeunes maliens ». L’équipe de recherche a mené des entretiens collectifs et individuels à Mopti, Ségou et Bamako. Il ressort que si les réseaux sociaux sont des lieux d’une grande liberté d’expression, de plus en plus il devient difficile d’y s’exprimer librement au Mali.
La bataille pour contrôler les médias dits classiques se joue aussi sur les réseaux sociaux. Nombre d’acteurs, y compris au sein des dirigeants, font désormais des réseaux sociaux l’épine dorsale de leur stratégique de communication.
« Adhésion à la propagande étrangère » ou « trahison »
Au Mali, la « crise » a favorisé, surtout au plus fort de la contestation menée par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, une liberté d’expression sur les réseaux sociaux. Avec le coup d’État d’août 2020 et l’instauration d’une transition dirigée par un attelage politico-militaire, les utilisateurs (citoyens ou professionnels de l’information) font attention dans leur prise de parole en public.
« La peur, le harcèlement et l’intimidation poussent des professionnels de l’information ou des citoyens à éviter de s’exprimer sur certains sujets comme la politique ou la sécurité […] L’exposition d’un énoncé contradictoire, ou qui simplement questionne le discours officiel et les faits rapportés par exemple, est un risque potentiel.», peut-on lire dans le rapport. Certains utilisateurs maliens des réseaux sociaux n’osent plus vraiment exprimer une opinion qui contredirait « la ligne de propagande officielle, même en usant d’argumentations rationnelles », ajoutent les auteurs du rapport.
Les relations entre le Mali et certains partenaires, notamment la France, se sont distendues depuis la « rectification de la trajectoire de la transition » avec le renversement de Bah N’Daw et de son premier ministre Moctar Ouane, en mai 2021. Cette crise, sur fond de déclarations et d’accusations de part et d’autre entre autorités maliennes et françaises, sert de socle à ce que les auteurs du rapport appellent la « propagande gouvernementale ».
Intolérance numérique
Les sorties des diplomates étrangers ou les des médias étrangers sont perçus « comme une forme contradictoire de propagande ». Cela complique énormément le travail des analystes locaux, et même de ceux qui luttent contre les fausses informations en ligne. La déconstruction des « narratifs » gouvernementaux est alors assimilée à « une forme d’adhésion à la propagande étrangère, donc une forme de trahison » vis-à-vis de son pays. Et « d’autre part, ce schéma journalistique [ des médias étrangers] sur le Mali ne permet pas aux journalistes, blogueurs et autres analystes locaux de déployer leur propre dynamique de contre-discours et d’analyse critique ».
L’étude révèle une autre réalité à observer de près : la montée de l’intolérance numérique. Au-delà des thèmes comme la politique et la sécurité, des sujets « plus légers », comme ceux portant sur l’esclavage par ascendance ou la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) rencontrent une forte opposition en ligne.
Une partie des Maliens prennent ces luttes comme importées et estiment qu’il « faut se défendre des débordements des idéologies occidentales et défendre ainsi le vivre ensemble malien qui serait diabolisé par les programmes extérieurs de développement social ».